Madagascar : la traite des filles de 18 à 25 ans continue de plus belle

Madagascar : la traite des filles de 18 à 25 ans continue de plus belle


Date: February 22, 2016
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Antananario, 22 février : Malgré que les autorités malgaches aient mis en garde les filles et les femmes contre la traite des personnes et aient pris des mesures pour contrer cette forme abjecte d’exploitation de la personne humaine, celle-ci continue de plus belle et affecte surtout les filles et femmes de 18 à 25 ans.

«Les victimes de la traite sont composées de 49 % de femmes, de 18 % d’hommes, de 12 % de garçons et de 21 % de filles». C’est le triste constat du rapport mondial sur la traite des personnes, rendu public le 24 novembre 2014, et compilé par l’Organisation des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC). Cela signifie que le phénomène de la traite des personnes se poursuit malgré toute l’attention publique que cette exploitation de l’homme par l’homme a reçue ces dernières années. En raison de l’exploitation qui en découle, la traite des personnes est considérée comme une des formes d’immigration irrégulière les plus dangereuses et en raison de sa complexité, de son ampleur et du fait qu’elle soit souvent liée à l’abus des femmes et des filles, et à la prostitution, les autorités compétentes ont beaucoup de mal à y mettre un frein.

Comme de nombreux autres pays, Madagascar n’échappe pas au phénomène. D’ailleurs, le rapport du département d’Etat américain sur la traite des personnes en 2014 l’a confirmé en ces termes : «Madagascar est un pays source pour des hommes, des femmes et des enfants à des fins de travail forcé mais pas seulement car des femmes et des enfants sont aussi soumis à l’exploitation sexuelle». Selon les chiffres avancés dans ce rapport, il est estimé qu’environ 4000 femmes malgaches travaillent comme domestiques au Liban et, depuis juillet 2012, près de 3000 femmes malgaches domestiques auraient migré au Koweït. Ces dernières sont exposées aux risques de traite des personnes puisque ces pays sont considérés comme des pays à haut risques, c’est-à-dire des pays qui ne respectent pas les droits humains.

Le Syndicat des Professionnels Diplômés en Travail Social (SPDTS) à Madagascar a recensé plusieurs centaines de cas de victimes de la traite. En 2012, il y a eu, selon ce syndicat, 416 Malgaches victimes. En 2013, elles étaient 508 et 502 en 2014. Et de 2009 à 2014, 36 femmes malgaches, qui avaient pris de l’emploi comme domestiques dans ces pays, sont mortes. Le profil des travailleurs migrants malgaches est : des hommes et des femmes âgés en moyenne de 18 à 25 ans, avec un faible niveau d’instruction. Ils sont donc très vulnérables face aux différentes sortes de tromperies utilisées par les trafiquants lors de leur recrutement.

Nivo Razafy, 19 ans, correspond à ce profil. Ayant quitté le pays pour travailler comme domestique, elle est retournée du Koweït en 2013, affirmant que «j’ai répondu à une offre d’emploi que j’ai trouvé sur Facebook. C’était un Malgache, très gentil, qui était en contact avec moi. Il a insisté pour parler à mes parents et il était vraiment très convaincant. Il a dit que nous pourrions cesser de vivre dans la pauvreté si nous choisissions d’aller travailler à l’étranger. Il a précisé que dans le pays où je serais envoyée, on utilise l’euro comme monnaie. C’est à ce moment-là qu’il a sorti un journal de son sac et a montré le cours de l’euro. Nous avons juste regardé les chiffres et nous avons pensé que nous pourrions ainsi sortir de notre misère. Après avoir fait le calcul avec lui, nous sommes tombés d’accord pour un salaire équivalent à 500 000 ariary, soit 156 euros. Etant donné qu’il avait aussi promis de s’occuper des papiers et des billets d’avion, mes parents et moi étions partants. Ce Malgache savait très bien comment nous parler. Il était très ouvert et compréhensif. Il ne nous traitait pas comme si que nous étions des ignorants. Il nous a bien expliqué ce qui allait se passer une fois arrivé au Koweït. Nous avons décidé de lui faire confiance. Mais ce fut le début de mon calvaire. Une fois là-bas, je devais travailler à partir de 4 heures du matin jusqu’à 23 heures. On ne me donnait à manger qu’une fois par jour. De plus, j’ai été insultée et maltraitée à plusieurs reprises et même violée plusieurs fois ».

Zoely Rakotonirina, 23 ans, domestique, a aussi été victime de la traite des personnes. Elle est rentrée du Liban en 2014. Elle raconte comment des personnes, composées de trois Malgaches, une femme et deux hommes, lui ont dit «qu’ils ont des contacts à l’étranger et m’ont proposée un travail au Liban avec un très bon salaire à la clé. Cette proposition est tombée à pic car je cherchais justement un emploi. Ces gens m’ont dit qu’ils allaient s’occuper de mes papiers et que je n’aurais aucun problème à quitter le pays, même si je n’avais pas encore l’âge légal de le faire. Ils ont aussi dit que je percevrais dans les 800 000 ariary, soit 250 euros par mois en travaillant comme domestique au Liban. Quittant Antsirabe, qui est à 160 km vers le Sud de Madagascar pour à Antananarivo, ils m’ont mise avec d’autres filles et nous ont enfermées dans une chambre très petite. On était environ une trentaine à être entassées dans cette chambre. Ils nous ont dit qu’ils nous garderaient là pour nous former au travail pendant qu’ils s’occuperaient de nos papiers. Mais, il a fallu payer beaucoup pour obtenir ces papiers. Cela m’embêtait puisqu’au départ, ils avaient dit que je gagnerais de l’argent et pas que j’en dépenserai. Arrivée au Liban, une personne dont je ne connais pas le nom a confisqué mon passeport à l’aéroport. Dans la famille d’accueil où je suis tombée, outre les tâches ménagères, j’ai été obligée d’assouvir les désirs sexuels de mon patron pendant que sa femme nous regardait. C’était horrible».

Depuis le début de la crise politique en 2009 à Madagascar, le nombre de victimes de la traite vers les pays du Golfe a fortement augmenté. Face à cela, le gouvernement malgache a tenté de stopper l’hémorragie de ses ressortissantes en déclarant en 2013 la suspension de l’envoi des travailleurs migrants malgaches dans les pays à hauts risques. Pourtant, cela n’a pas arrêté le flux migratoire des chercheurs d’emploi et du trafic illicite des migrants. Les Malgaches voulant aller travailler dans les pays du Golfe passent par des pays de transit comme Maurice ou encore la Tanzanie pour tromper les responsables de l’Immigration sur leur destination réelle et pouvoir quitter Madagascar sans problème. Les différents rapports du département d’Etat américain font d’ailleurs état de la dégradation des mesures de protection des travailleurs migrants malgaches et incitent le gouvernement à mettre en place un système de contrôle plus strict de ses ressortissants.

Le gouvernement malgache a aussi pris la décision de s’engager formellement dans la lutte contre la traite des personnes. Plusieurs mesures ont été prises dont l’adoption en janvier 2015 de la loi numéro 2014-040 sur la lutte contre la traite des personnes, l’adoption en mars 2015 du plan d’action national sur la lutte contre la traite des personnes, la nomination en juin 2015 des membres du bureau national de lutte contre la traite des personnes. Il y a aussi eu le lancement en juillet 2015 d’une campagne nationale de lutte contre la traite des personnes. Selon Josiane Ralaivaoarisoa, présidente de ce bureau national, qui est aussi chargée de la traite des personnes au sein de la Primature, «le bureau travaille étroitement avec l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) dans le cadre d’une sensibilisation dans toutes les provinces. Et depuis, nous recevons des doléances. Pour venir en aide aux victimes, nous examinons les dossiers et les traités et référons les dossiers solides devant le tribunal afin que la loi soit appliquée dans toute sa rigueur. Plusieurs personnes ayant pratiqué la traite se trouvent en prison actuellement. Par rapport aux filles malgaches qui sont encore dans les pays de Golfe, nous avons pris la décision de résilier plusieurs contrats dès que la suspicion de maltraitance est confirmée.»

Faut-il rappeler que le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement auquel le gouvernement malgache est signataire, reconnait que les femmes ont été historiquement désavantagées et n’ont pas participé de manière significative à tous les domaines de la vie et demande à ce que les Etats membres mettent tout en œuvre pour l’élimination de le la violence envers les femmes, dont la traite des personnes fait partie.

Voulant soutenir les efforts du gouvernement malgache dans la lutte contre cette forme de violence envers ses ressortissantes sans défense, l’association Za Malagasy tsy manaiky fanandevozana dénonce les cas sur la place publique. Tafitaniaina Zaiarivelo, présidente de l’association, précise que «si nous voulons prémunir les Malgaches contre la traite des personnes, il faut les outiller. La communication est une arme de mobilisation puissante, qui peut être utilisée à moindre coût, avec un impact non négligeable». Outre les sensibilisations sur le terrain, elle croit beaucoup dans l’utilisation des réseaux sociaux qui permettent d’atteindre un maximum de personnes, sans considération de frontières géographiques. «Nous arrivons à diffuser des informations auprès de la diaspora malgache à l’étranger et cela nous aide à faire des recoupements d’informations pour retracer nos ressortissantes, faire de la sensibilisation et dénoncer les réseaux qui gagnent de l’argent sur le dos des filles et femmes malgaches.»

En introduisant les questions relatives à la traite des personnes dans le débat public, l’association estime que son action est plus percutante. Outre toutes ses actions de sensibilisation et de plaidoyer, y compris dans les écoles, l’association croit beaucoup en la mise en place d’antennes dans les 22 régions de la Grande Ile dans l’espoir de ralentir, voire de stopper ce fléau. C’est un des prochains projets sur lequel Za Malagasy tsy manaiky fanandevozana compte beaucoup miser.

Arlette Ravolatsara est journaliste à Madagascar. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.