Mali : Femmes et hommes se mobilisent pour que cesse la violence conjugale

Mali : Femmes et hommes se mobilisent pour que cesse la violence conjugale


Date: March 22, 2016
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Bamako, 22 mars : Aucun couple au monde ne vit en parfaite harmonie. De temps à autre, des différents se manifestent, voire des disputes éclatent. Mais dans certaines sociétés patriarcales, la violence fait partie de la norme. Il y a un adage au Mali qui dit que «Dans un foyer, c’est se disputer, se frapper et s’aimer… »

Cela peut expliquer que dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, on assiste depuis un certain temps à des violences conjugales, qui virent en crimes. C’est le cas de ma collègue de bureau, Mariam Diallo, poignardée à 35 reprises par son mari, en janvier 2015. Et un an plus tard, il y a eu l’assassinat de Fall Maïmouna Sissoko plus connue comme Kamissa, tuée par balle par son époux.

Si la solidarité entre femmes n’était pas le point fort des Maliennes, ces dernières, choquées par ces violences ayant ôté la vie de deux jeunes et belles femmes en l’espace d’un an, commencent à se mobiliser contre ces violences conjugales et à dénoncent la violence entre partenaires intimes. Les Maliennes veulent montrer à la face du monde qu’il n’y aura plus de tolérance envers les hommes qui tuent les femmes, y compris quand c’est la leur.

Aujourd’hui au Mali, les organisations non gouvernementales et les mouvements se réclamant tous militants pour la défense des droits de la femme et de la lutte contre les violences basées sur le genre, s’intensifient dans notre pays. La mort atroce de Kamissa et celle de Mariam ont été connus du grand public en raison de leur médiatisation. Selon le témoignage de Traoré Oumou Touré de la Coordination des associations et organisations féminines (Cafo), «de plus en plus de femmes perdent la vie suite à des violences conjugales. Par ailleurs, nombreuses sont les femmes qui se retrouvent handicapées à cause des séquelles d’une vie conjugale violente.»

Dans le rapport 2014 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), au chapitre de la violence faite aux femmes, il ressort que 36.6 % des femmes victimes de violence de la part de leur partenaire intime se trouvent en Afrique. Selon le rapport de l’ONU-Femmes, en 2013, 353 Maliennes ont subi des violences physiques de leur mari ou conjoint. Presque le double a été enregistré dans ce même pays en 2014, avec 603 cas cités par la branche malienne de Women in Law and Development in Africa (WILDAF-MALI)

Pour la présidente de la WILDAF-MALI, Boiré Bintou Founè Samaké, «face à la criminalisation des actes de violences conjugales qui, pour le malheur des victimes, sont souvent ‘excusées’ par la société, les ONG et associations féminines du Mali devraient se retrouver autour de la problématique pour exiger que justice soit rendue aux victimes et prévenir ces types de violences. Car pour le malheur de ces femmes, sous la pression tant de la société que de notre culture et au nom de la religion, on se retrouve face à une banalisation de ce genre d’acte.»

Le pire est que le meurtrier de Mariam Diallo a recouvré la liberté et que la famille de Kamissa a décidé de ne pas porter plainte contre son mari. Sans oublier que lors de la cérémonie mortuaire de cette dernière, les religieux essayaient tant bien que mal d’humaniser l’acte de son assassin. «Aussi est-il triste de voir que face aux enjeux de la question, certains leaders ou proches des victimes, par égocentrisme ou pour d’autres raisons méconnues, se réservent de s’associer aux autres mouvements de dénonciation des violences basées sur le genre, tout simplement parce qu’ils n’occuperont pas la première place du peloton,» ajoute la présidente de la WILDAF.

Dans une déclaration remise par les différents mouvements d’activistes du genre aux parlementaires à la fin janvier 2016, on peut retenir, entre autres, les demandes suivantes: «Tolérance zéro aux auteurs de tels crimes; le renforcement et l’application des lois en vigueur; la criminalisation des violences conjugales; le renforcement des centres d’appui et la mise en place d’un centre d’accueil et l’accompagnement juridique des victimes d’agressions conjugales». Fomba Fatoumata Niambélé, la présidente du Réseau des femmes parlementaires contre la violence faite aux femmes et aux filles à l’Assemblée nationale, quant à elle, estime que les parlementaires vont certainement mener des actions de sensibilisation sur les violences conjugales et proposer la promulgation d’une loi spécifique contre ces violences. Elle souhaite d’ailleurs que la date du 5 février soit décrétée Journée nationale sur les violences basées sur le genre.

Ce qui est clair depuis la disparition tragique de Kamissa et de Mariam et au nom de ces milliers de femmes anonymes, qui tombent au quotidien sous les coups d’un homme violent, les mouvements de femmes et d’hommes vont s’unir et dire non à la bêtise humaine qu’est la violence conjugale. D’ailleurs, à la fin janvier, une marche pacifique a attiré une foule monstre composée de femmes activistes mais aussi d’hommes et de leaders religieux. Ils ont participé pour exprimer leur ras-le-bol de cette violence gratuite qui brise tant des vies.

On ne peut pas dire qu’il y a inexistence de lois pour punir la violence au Mali. Plusieurs instruments nationaux, régionaux et internationaux ont été ratifiés par le pays, qui reconnaît aux femmes et aux hommes l’égalité en droits et devoirs et interdit toutes les formes de discrimination contre les femmes. Parmi eux, on peut retenir la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et ses protocoles, la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, et son Protocole relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo). La Constitution malienne affirme même le principe de l’égalité hommes-femmes en droits et en libertés, de même que la non-discrimination. Des textes législatifs et règlementaires sont adoptés en application aux instruments juridiques précités.
Malgré tous ces textes censés protéger les Maliennes, il y a encore des atteintes à leurs droits et elles continuent d’être violentées et tuées par leur partenaire intime. C’est signe que le droit coutumier, souvent défavorable aux femmes, est appliqué au détriment de la loi, surtout en milieux ruraux, notamment par rapport à la succession sur le foncier.

Souhaitons que l’élan de révolte qui a suivi la mort tragique de Kamissa prenne de l’ampleur et qu’à chaque cas de violence envers les femmes, la société malienne se soulève et s’engage à stopper la violence conjugale !

Bokoum Abdoul Momini est journaliste à l’Observateur du Mali Militant et activiste des droits de l’Homme. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.