Maurice: les femmes en première ligne


Date: February 29, 2016
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Maurice, 29 février: Quels que soient les problèmes sociaux, vous verrez que les femmes sont toujours en première ligne. Le dernier rapport de la Banque mondiale fait froid dans le dos. A tel point que je me demande si Maurice est un pays où il fait bon vivre lorsqu’on est femme. Dans ce rapport, le fossé du genre est non seulement souligné mais il y est clairement indiqué que ce sont les femmes qui sont les plus affectées par la pauvreté. Ce fossé qui s’agrandit est alarmant. Les autorités ont-elles essayé de remonter à la source et d’enquêter sur tous ces problèmes afin que des actions durables puissent être mises en place? Je n’en suis pas certaine. Les autorités continueront à dire que l’aide sociale est en hausse et que des uniformes et du matériel scolaire sont fournis aux enfants issus de milieux pauvres. N’est-ce pas une approche de solution rapide rien que pour nous museler?

Il est inquiétant de lire dans ce rapport que «l’incidence de la pauvreté était plus élevée au sein des foyers dirigés par les femmes». Le rapport va plus loin en disant que la plupart des femmes dirigeant ces ménages sont peu éduquées. Ceci est une cause de préoccupation car les filles sont généralement plus éduquées que les garçons. Si nous continuons avec cette approche uniforme, les femmes se retrouveront dans une situation catastrophique. Une situation qui perdurera du fait que le système éducatif génère des analphabètes. Maurice est probablement le seul pays au monde où la langue maternelle n’est pas utilisée à l’école.

L’aide sociale n’a pas contribué à l’allègement de la pauvreté. Au contraire, selon le rapport de la Banque mondiale, la pauvreté relative a augmenté avec le temps, passant de 8,5% à 9,8% et les familles de la classe moyenne risquent de s’appauvrir et de se retrouver dans cette catégorie. La pauvreté n’est pas qu’une question de réussir à faire bouillir la marmite. Nous devons avoir une approche globale et établir des liens entre la pauvreté et la violence basée sur le genre, entre la pauvreté et le changement climatique, entre la pauvreté et la santé et la pauvreté et l’alphabétisation.

Les récentes photos d’inondations causées par le changement climatique sont désolantes. L’aide sociale aux victimes du changement climatique ne suffit pas. Nous avons besoin de stratégies bien établies sur le long terme. Le changement climatique affecte les hommes et les femmes de façon différente.

Etant donné les inégalités du genre, le changement climatique alourdit la charge des femmes. Elles sont affectées différemment que les hommes en raison de leurs rôles sociétal et culturel au sein de leur famille et de la communauté. Avons-nous jamais pensé à introduire des politiques climatiques sensibles au genre? Les femmes sont absentes de la table des discussions, sauf pour servir le thé aux hommes. Les femmes, en particulier celles qui sont au bas de l’échelle, peuvent certainement apporter leur contribution au niveau décisionnel si on leur fait de la place à la table des discussions. Nous devons tirer des leçons de l’expérience des autres pays. Nous ne voulons certainement pas vivre la même chose qu’en République Démocratique du Congo où en raison du changement climatique, les femmes sont obligées de parcourir de longues distances à pied pour collecter de l’eau et elles se font violer sur le chemin du retour à la nuit tombée. Certaines Congolaises ont subi ce sort à plusieurs reprises. Et à leur arrivée à la maison, elles vivent cette fois la violence domestique car leurs maris et leur belle-famille refusent d’héberger des femmes qui ont été violées.

Ici à Maurice, au lieu de pouvoir poursuivre ses études secondaires comme ses amies l’ont fait au Lycée des Mascareignes, Stacey Henrisson a fini dans la tombe. Elle a été sauvagement assassinée par une des personnes censées la protéger, à savoir son beau-père Jayraj Sookur. Elle se savait en danger et s’était rendue à la police pour porter plainte et obtenir de l’aide. Comme elle n’avait que 16 ans, la police n’a pas pris sa déposition. Sa vie aurait pu avoir été épargnée s’il existait des structures appropriées dans tous les postes de police pour protéger les femmes et les filles, qui sont les plus vulnérables. Nous avons une Police Family Protection Unit et à moins d’être à côté de la plaque, les enfants font aussi partie d’une famille. Pourquoi la police ne peut-elle les protéger? Il y a la loi et l’esprit de la loi. Dans des cas urgents où des vies sont en jeu, nous ne pouvons pas camper sur nos positions rigides. Condamner le bourreau de Stacey Henrisson à la réclusion criminelle pendant 60 ans ne la ressuscitera pas mais cela peut mettre en lumière les lacunes du système et empêcher qu’il y ait d’autres Stacey. Amender les lois, alourdir les peines, condamner à la prison à vie, n’ont qu’un effet dissuasif. Il faut arrêter de faire l’autruche et de trouver des solutions au cas par cas.

De grâce, agissons. Participer à une marche pacifique avec une fleur blanche à la main sensibilise les gens certes mais cela ne va pas empêcher qu’il y ait des répétitions de cas comme celui d’Eleana Gentil, cette gamine de 11 ans, violée et assassinée en avril 2015, de Marie Anita Jolita, deux ans, violée, sodomisée et assassinée en 2006, d’Annegenia Jennia Arékion, quatre ans, qui a rendu son dernier souffle à l’hôpital en 2006 après avoir été sexuellement abusée. Sans compter le cas de Joannick Patricia Samuella Martin, sept ans, qui a été violée et brûlée vivante par son oncle en 2010.

L’année 2014, qui a vu l’assassinat brutal et sauvage de Stacey Henrisson, a été une année noire pour les femmes. L’assassinat de tant de femmes et de filles dans cette île paradisiaque qu’est Maurice peut donner à penser que l’île est une scène de tournage et qu’y est tournée l’une de ces séries policières populaires diffusées sur les chaînes de télévisions américaines.
Le 9 septembre 2014, Jaishree Soohun a été violemment agressée au couteau et tuée par son mari. Cette scène choquante et macabre s’est produite sous les yeux de leurs deux enfants. Durant la même année, un mari de 37 ans a tué sa femme et l’a découpée en morceaux à l’aide d’une meule.

La voix des femmes, en particulier de celles qui sont au bas de l’échelle, doit être entendue. Elles doivent faire partie de ces rencontres de haut niveau où les discussions portent sur le changement climatique, la pauvreté, la violence basée sur le genre, la violence envers les enfants et toutes autres questions sociales. Et ouvrir la porte des discussions à des représentants d’organisations non gouvernementales contribuera assurément à trouver des solutions concrètes.

Loga Virahsawmy est membre du conseil d’administration de Gender Links. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.