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Conakry, 15 février: En dépit du signal fort envoyé par les autorités guinéennes dans la lutte contre l’excision, la situation reste préoccupante en République de Guinée avec un taux de prévalence de 97 % chez les filles et les femmes de 15 à 49 ans.
Les mutilations génitales féminines et l’excision, qui affectent chaque année des centaines de milliers de filles en Guinée, notamment pendant la période des grandes vacances, sont répandues dans toutes les régions et dans toutes les ethnies, indépendamment de l’appartenance religieuse, géographique et sociale.
Malgré les efforts conjugués des organisations non gouvernementales féminines, des institutions internationales et du gouvernement guinéen, des jeunes filles, dont l’âge varie entre quatre ans et 15 ans, sont soumises, avec l’accord de leurs parents, à cette dure épreuve qui reste de nos jours une des pires agressions sexuelles contre la jeune fille et la femme.
Selon une enquête du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), en Guinée, 31% des cas d’excision sont pratiqués par des professionnels de santé qui sont majoritairement des sages-femmes.
Or, en sus des douleurs, cette pratique, qui nie à la femme son droit à une sexualité épanouie, est potentiellement dangereuse pour la santé. Mariame Diallo dit avoir contracté une infection urinaire au cours de l’excision qu’elle a subie quand elle avait cinq ans. C’est en pleurs que cette femme, mariée et sans enfants, raconte le drame qu’elle a vécu.
«Quand j’ai eu cinq ans, mes parents m’ont emmenée au village, soi-disant pour passer des vacances avec mes grands-parents. Un matin, sans me prévenir, ma tante est venue me réveiller pour m’emmener, en compagnie d’autres filles de mon âge, chez une exciseuse. A l’issue de l’excision, j’ai fait des hémorragies et je faisais de la température. Durant deux semaines environ, on nous pansait mais ces pansements n’étaient pas effectués dans des conditions stériles. Dans mon cas, la plaie a mis beaucoup de temps à cicatriser. Mes premières règles ont été très douloureuses et par la suite, je me suis rendue compte qu’elles n’étaient pas régulières. Parfois, je pouvais rester trois mois sans les avoir alors que mes douleurs abdominales persistaient. A l’issue de mon mariage, j’ai consulté un médecin. Son diagnostic était clair : je souffrais d’une infection contractée pendant l’excision. Il m’a donné des médicaments. Je continue mon traitement, mais jusqu’à présent je n’ai pas encore réussi à concevoir».
Sachant à quel point cette pratique est ignoble, elle la condamne fermement. Elle s’est d’ailleurs réjouie de la condamnation récente d’exciseuses à des peines de prison ferme et au paiement d’une amende d’un million de francs guinéens, ce qui est une première en Guinée.
A l’origine de ces sanctions, il y a la mort de Koumba Tonguino, une fillette de cinq ans, décédée le 28 décembre 2015 dans le village de Konooma tombant dans la sous-préfecture de Nongoa et la préfecture de Gueckédou. Un décès attribuable à des complications causées à la suite d’une excision.
Voici les dessous de cette triste disparition. Koumba Fanta Sandouno, la présidente des femmes du village de Konooma, qui est paradoxalement exciseuse au dit village, aurait informé le chef du village d’un projet de circoncision de trois jeunes garçons du village. Ce dernier qui était en déplacement, n’y a pas mis de véto. Profitant de l’absence du chef de village et contrairement à ce qui était prévu, ce sont 11 jeunes filles qui ont été envoyées à la campagne pour être soumises à l’excision.
Pour son malheur, Koumba Tonguino figurait parmi les 11 filles excisées. Cette pratique barbare a eu raison de cette enfant de cinq ans. Elle a rendu l’âme 24 heures après cet acte ignoble. Son cadavre a été remis à ses parents, lesquels ont procédé à son enterrement, sans informer les autorités locales.
C’était sans compter l’indignation de certains villageois. Cette triste nouvelle est tombée dans les oreilles du Conseil pour la Famille et l’Enfance (CFE) de la sous-préfecture de Nongoa, qui mène des enquêtes sur le terrain. Lors de l’investigation, trois personnes présumées coupables ont été arrêtées, à savoir la présidente des femmes du village, le chef du village et une autre femme. Au terme de leurs auditions au commissariat de police, les auteurs de cet acte criminel ont été déférés à la Justice de Paix de Gueckédou où ils attendent d’être fixés sur leur sort.
Au sein de la préfecture de Siguiri, en Haute Guinée, une exciseuse nommée Odette Kamano, âgée de 35 ans, a d’abord excisé sa propre fille de sept ans avant d’essayer de faire de même sur une autre fillette, sans l’accord de ses parents et en dépit du fait que l’excision soit interdite officiellement en République de Guinée.
Choqués par cet agissement, les parents de la fillette ont porté plainte contre l’exciseuse auprès de la Compagnie de la Gendarmerie de Siguiri. A la lumière de l’enquête menée, l’exciseuse a été poursuivie en justice. Trouvée coupable, elle a été condamnée à deux ans de prison et au paiement d’une amende de trois cents mille francs guinéens, l’équivalent de 100 dollars USD.
Face à cette situation alarmante, le ministère guinéen de la Santé vient d’annoncer un certain nombre de mesures applicables au sein des structures sanitaires du pays afin de freiner cette pratique abominable, incluant notamment la sensibilisation du personnel médical (infirmières et sages-femmes), la radiation de la personne trouvée coupable de la Fonction publique et des poursuites pour toute personne prise en flagrant délit d’excision.
De son côté, le ministère de l’Action sociale, de la promotion féminine et de l’enfance (MASPFE), en collaboration avec l’UNFPA, l’UNICEF et des organisations non gouvernementales, multiplie les actions de plaidoyer, de sensibilisation et de mobilisation des communautés face aux dangers de l’excision chez la jeune fille et la femme.
A l’occasion des vacances scolaires de 2015, le MASPFE a organisé une campagne de mobilisation sociale et de plaidoyer en vue de vaincre les réticences liées à l’abandon de cette pratique néfaste à la santé des femmes et des filles.
Pour éradiquer cette pratique traditionnelle particulièrement nuisible, un protocole sur l’abandon des MGF/E a été signé récemment entre l’Etat guinéen, à travers le MASPFE et la Coopération française et l’ambassade des Etats Unis. Ce protocole d’accord vise à sensibiliser davantage les femmes exciseuses sur la nécessité d’abandonner cette pratique au profit d’Activités Génératrices de Revenus (AGR) et des fonds leur seront avancés par l’Etat guinéen et les institutions internationales pour cette reconversion.
En matière légale, la loi guinéenne, à travers le Code de l’enfant guinéen (loi L/2008/011/AN du 19 août 2008, indique, sans mentionner spécifiquement l’excision mais fait état de mutilations génitales féminines, dit ceci : «Sous réserve des dispositions du Code pénal, les actes attentatoires aux droits en matière de sante sexuelle seront incriminés et pénalement réprimés. Il s’agit notamment de :
-Toutes les formes de violences et particulièrement celles dont les femmes et les enfants sont victimes en général.
– Toutes les mutilations génitales féminines et la pédophilie en particulier.»
Comme on le voit, la législation guinéenne, à travers un texte précis, sanctionne les mutilations génitales féminines dont l’excision fait partie.
La République de Guinée a aussi ratifié de nombreux traités internationaux dont les objectifs traitent, entre autres, de la lutte contre l’excision, à savoir des textes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’UNICEF. Cette dernière a même décrété le 8 février Journée internationale de tolérance zéro envers les mutilations génitales féminines. Le pays a aussi signé et ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations envers les femmes, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.
Il y a même des peines prévues pour les mutilations génitales féminines en Guinée dans les articles 407 à 409 du Code de l’enfant guinéen (Loi L/2008/011/AN du 19 août 2008).
L’article 407 précise que «Quiconque, par des méthodes traditionnelles ou modernes, aura pratiqué ou favorisé les mutilations génitales féminines ou y aura participé, se rend coupable de violence volontaire sur la personne de l’excisée. Tout acte de cette nature est puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de 300 000 à un million de francs guinéens (entre 100 et 300 dollars USD) ou de l’une de ces deux peines seulement.» L’article 408 dit lui que «Si la mutilation génitale féminine a entrainé une infirmité, le ou les auteurs seront punis par réclusion criminelle allant de cinq à 10 ans et d’une amende d’un million à trois millions de francs guinéens (300 à 900 dollars USD).» L’article 409 indique que si mort s’ensuit après une excision d’enfant, le ou les auteurs seront punis par réclusion criminelle allant de cinq à 20 ans.
L’Etat guinéen affiche la volonté politique de lutter contre l’excision et les législateurs ont pris les mesures qu’il faut pour punir les coupables. Reste que les traditions ont encore la dent dure.
Idrissa Cissé est journaliste à l’Agence Guinéenne de Presse. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
📝Read the emotional article by @nokwe_mnomiya, with a personal plea: 🇿🇦Breaking the cycle of violence!https://t.co/6kPcu2Whwm pic.twitter.com/d60tsBqJwx
— Gender Links (@GenderLinks) December 17, 2024