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Anny aura 40 ans cette année. Outre d’être une judokate de haut niveau, elle est aussi journaliste sportive. Détentrice d’un diplôme d’études approfondies en sciences de l’éducation, elle suit des cours en vue d’obtenir son diplôme d’études supérieures spécialisées en diplomatie et relations internationales. Mais elle est aussi et surtout directrice de la rédaction de MIDI Flash, un hebdomadaire qui aura trois ans d’existence cette année.
Midi Flash reflète les convictions et la philosophie de vie d’Anny. Tout en appréciant les traditions culturelles de son pays, elle est aussi en faveur de l’ouverture et du modernisme, surtout quand cela concerne les femmes.
Midi Flash est un hebdomadaire malgache appartenant au groupe de presse Midi. Cet hebdomadaire parle de sexe et n’hésite pas Á aborder d’autres sujets tabous comme les relations extraconjugales par exemple. Midi Flash a même fait un tabac en parlant des gigolos Á Madagascar, une pratique courante mais dont aucun journal n’en avait fait état jusque-lÁ . Il y a encore quelques années, ces sujets auraient été difficilement acceptés par la société malgache qui est restée encore conservatrice.
Anny raconte l’aventure de Midi Flash, projet qu’elle n’avait pas vraiment en tête mais sur lequel elle a flashé dès qu’on lui en a parlé. «J’étais la seule emballée par l’idée Á vouloir faire un extra pour MIDI et on m’a nommée directrice ». Elle est épaulée par une autre fille qui occupe le poste de rédactrice en chef, Á savoir Henintsoa Ramarohetra. Cette dernière est actuellement au Rwanda où elle pratique le journalisme mais dispense aussi une formation en journalisme. Une autre journaliste travaillait avec elle, en l’occurrence Jocelyne Randrianary, mais cette dernière est morte en novembre dernier.
La rédaction de MIDI Flash est composée essentiellement de femmes. Sans aucun a priori, précise Anny. «Si des hommes avaient voulu travailler avec nous, on les aurait recrutés. Mais ce sont des femmes qui se sont portées volontaires pour lancer cet hebdo, sans savoir ce qu’il en retournerait. Et cela fonctionne ainsi chez MIDI. L’hebdo parle des stars, de sexe, des événements de la semaine. Très riche en photographies, on l’appelle aussi le journal de l’Homme pressé. Car tous ses articles sont condensés. Il est bilingue, soit Á moitié rédigé en malgache, Á moitié en français ».
Midi, c’est la deuxième maison d’Anny, qui a consacré sa vie Á ce groupe de presse. Son talent y est reconnu. Anny est aussi polyglotte: elle parle l’anglais, le français et le malgache bien-sÁ»r. « Etre journaliste, ce n’est pas seulement maîtriser l’écriture mais surtout savoir mettre en exergue l’information, savoir faire une bonne mise en page et savoir vendre l’information. Il faut offrir quelque chose qui fasse vendre, qui se lira. Il faut traquer l’info, chercher ce qui pourrait intéresser le lecteur et seul un journaliste averti, un Å“il averti, sait le faire! MIDI Flash vend entre 17 000 et 25 000 exemplaires. Mais les plus grosses ventes concernent Gazetiko et Taratra qui se vendent tous les jours Á plus de 35 000 exemplaires », affirme Anny.
Rien ne laissait pourtant présager qu’Anny deviendrait un jour journaliste. Quand elle a débuté dans la presse, elle ne savait même pas manier un ordinateur. Certes son diplôme de professeur de Français lui a énormément facilité la tâche. «J’ai été adoptée par la rubrique sportive. Car personne ne voulait vraiment être journaliste sportif et encore moins les femmes. C’était une aubaine pour le journal car les journalistes sportifs sont Á 90% des hommes Á Madagascar. En tout, nous sommes six journalistes sportives. Quatre couvrent essentiellement le sport mais les autres sont des généralistes. Cela a un avantage car nous ne sommes pas taxées de méchantes par rapport aux hommes. Et les gens respectent plus les femmes par rapport aux hommes d’un point de vue des sources de l’information. Je pense que les femmes tissent plus facilement des relations et cela leur donne un avantage sur les hommes dans l’obtention des informations ».
Mais attention! Derrière le joli sourire de cette tête bien remplie se cache aussi une sportive émérite. Anny est effectivement une excellente judokate qui a été plusieurs fois championne dans ce domaine et est même venue Á Maurice pour participer aux championnats de judo. Maurice a d’ailleurs une place spéciale dans son cÅ“ur. C’est pour elle un lieu «de souvenirs merveilleux » où elle avait pu mélanger soleil, sport et amitié avec des judokates mauriciennes.
Sa passion pour le sport l’a aidée Á trouver d’autres débouchés. «Comme j’ai évolué progressivement dans le milieu sportif, j’ai fini par être en même temps organisatrice d’évènements sportifs. Et lÁ , c’est plus difficile d’y arriver car certains journalistes qui ne font pas la même chose, qui n’osent pas organiser quoi que ce soit, ne font que critiquer et me descendre dans les autres journaux », dit-elle avec regret.
La concurrence est dure dans le milieu de la presse Á Madagascar. Anny n’aime pas la concurrence mais elle n’en a pas peur. «MIDI qui a une couverture nationale, fait partie de l’élite en journalisme. A tel point que l’on a souvent la primeur d’un scoop. Heureusement qu’on a un rédacteur en chef qui adore le sport chez MIDI et chaque info sportive est vendue en Une ».
Anny qui a été élue «Femme de l’Année 1998 » est l’auteur de plusieurs livres, dont «Patrimoine maritime de Madagascar », écrit avec des collègues journalistes et présenté Á Brest en 2008.
A Madagascar, ce n’est pas seulement le sport qui retient l’attention des Malgaches. La crise politique de l’an dernier les a touchés de plein fouet, faisant stagner le développement économique, divisant le peuple et enfonçant davantage la Grande Ile dans la pauvreté.
Pendant la crise, Anny a volontairement abandonné les gymnases et les stades pour être sur le ‘champ de la bataille’. «Pendant la crise de janvier 2009, j’ai été dépêchée comme journaliste reporteur d’images pour MIDI. Soixante Á 70% des photos de la crise parues dans MIDI sont de moi car le premier photographe titulaire de Midi a été tabassé lors d’une échauffourée alors que le second était absent du pays. C’était des moments très forts. Nous étions nombreux Á être sur le terrain, bravant les tirs de balles et de gaz lacrymogène. LÁ , il n’y avait pas d’hommes ou de femmes. Nous étions tous des journalistes de terrain, qui faisaient des photos pour livrer les dernières images aux Malgaches ».
Les conditions de travail des journalistes Á Madagascar sont les mêmes pour les hommes comme pour les femmes. C’est sept sur sept, le travail de nuit et la pression constante. LÁ où Anny fait la différence, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de femmes chefs dans la presse malgache. «Le métier de journaliste attire toujours. C’est comme un miroir qui plaît Á tout le monde. Midi a un aura particulier mais passe tout de même par des périodes où le métier subit des censures, des coups bas, de mauvaises passes, » relate la journaliste.
Le groupe MIDI a 25 ans d’existence. Le groupe possède une chaîne de télé, la MATV, une chaîne de radio MAFM, des journaux dont trois sont rattachés directement Á MIDI avec MIDI FLASH et Gazetiko et SOA, MALAZA et MAHERY qui sont d’autres journaux du groupe. Tout ceci constitue l’aura du groupe. « Il y a même une blague qui dit qu’on ne meurt pas vraiment si on ne se trouve pas dans les pages nécrologiques de MIDI ! Les journalistes sont célèbres mais ne gagnent pas beaucoup d’argent. Pendant la crise, être journaliste constituait un risque permanent de se faire tuer car les gens insatisfaits de ce que nous écrivions, débarquaient au journal et prenaient Á partie les journalistes concernés. Il y a le cas de Christian Rivo, un collègue journaliste, qui a été dans le coma après avoir été lynché. Ce genre de mauvaises passes est fréquent. Et puis, il y a les censures qui existent dans chaque journal qui a une ligne éditoriale spécifique. »
L’ouverture d’une école de journalisme a balisé l’univers des médias mais la formation sur le tas prime encore. «C’est un avantage mais aussi un inconvénient. Un avantage dans la mesure où on acquiert tous les rudiments du métier par la pratique. Mais l’inconvénient est quand de jeunes stagiaires avides de scoop écrivent n’importe quoi sans recoupement d’information, tout imbus qu’ils sont Á se dire journalistes. C’est une tare. Je pense qu’être objective, avoir le sens de l’éthique, rester juste dans le ton et les propos, est un des caractères indispensables au journaliste. Ce n’est pas du tout facile. Le métier de journaliste est un métier Á risques et où les motivations sont moyennes. Nous ne roulons pas sur l’or, loin de lÁ . Mais nous aimons notre métier. »
La vie familiale des journalistes femmes Á Madagascar est très chaotique en raison d’un emploi du temps ingérable. «Il y beaucoup de mères célibataires chez les journalistes, au moins 10 dans le groupe et j’en fais partie. Nous avons une vie amoureuse, une vie familiale mais il faut constamment jongler avec notre métier. Nous sommes souvent mal perçues en raison de cet emploi du temps surchargé. »
Anny souligne cependant que les femmes journalistes malgaches sont solidaires. Il y a une association de femmes journalistes dont elle est membre, et il y a une équipe de journalistes footballeuses, dont elle est la présidente. «Les filles du sport sont aussi très soudées. Nous socialisons en-dehors du travail. Certaines femmes journalistes décrochent après quelques années de presse pour prendre de l’emploi dans des entreprises internationales car leur expérience est très recherchée. Mais nous gardons contact et nous nous retrouvons de temps en temps autour d’un verre et d’un karaoké par exemple ».
Anny ne compte pas décrocher de sitôt du journalisme. «Ce sera difficile, voire impossible », soutient-elle. «J’ai besoin d’être sur le terrain, même si je suis directrice de rédaction. Je fais toujours mes reportages et mes photos, mes mises en page, mes Une. Je rêve oui, pourquoi pas d’avoir mon propre journal. Un de ces jours peut-être… » Croisons les doigts.
Paul Sophonie est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Download : Anny la journaliste judokate
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— Gender Links (@GenderLinks) March 5, 2025
Comment on Anny Andrianaivonirina: la combattante malgache