En effet, depuis près de trois ans, le 8 mars est vécu de manière particulière par les femmes et les jeunes filles de Kinshasa. Les Kinoises sont nombreuses à porter un pagne, tenue nationale faite d’étoffe qu’elles nouent à la taille et un haut dessus appelé «libaya».
«Chaque année pour le 8 mars, nous demandons que toutes les filles portent le pagne à l’école. C’est notre manière de célébrer cette journée et de mettre la femme en exergue, de la valoriser», explique la sœur Mbuyi, responsable d’une école à Kinshasa.
Pour donner encore plus d’éclat à cette célébration, des activités culturelles sont organisées dans différents établissements scolaires telles que la récitation de poèmes, des concours de danse, des compétitions sportives et des défilés de mode.
Même les écoles maternelles ne sont pas en reste. C’est avec pompe que la Journée Internationale de la Femme y est fêtée. «Il y a une sorte d’émulation qui est observée. Certaines écoles en profitent pour faire leur publicité en se faisant filmer par des chaînes de télévision», argue Lydie Matondo, vendeuse dans une pharmacie.
Et même les filles qui ne sont pas encore en âge d’aller à l’école leur emboîtent les pas. Les ateliers de couture sont d’ailleurs très sollicités. «J’ai reçu une commande de plus 50 habits à confectionner entre le 1er et le 13 mars. Ce sont les responsables des écoles et des parents qui viennent me voir pour que je couse les costumes de leurs enfants », relate Bibiche Bolumbu, couturière.
Ce ‘phénomène’ a déjà gagné quelques villes à l’intérieur du pays. « Le 7 mars, pour célébrer la Journée Internationale de la Femme, la direction de l’école nous a demandés d’envoyer les élèves à l’école en pagne», témoigne Betty Mbandu, mère de famille qui a une fille en maternelle et une autre en troisième dans une école primaire catholique à Mbanza Ngungu, ville située à plus de 150 kilomètres de Kinshasa.
«C’est beau de voir toutes ces futures femmes en pagne», se réjouit Raphaël Mbaki, un retraité de l’administration publique, qui ajoute toutefois «qu’il aurait fallu que nous le voyions plus souvent». Le port du pagne fait la joie de nombreux Congolais qui l’entrevoient comme une revalorisation de la tenue nationale.
Il faut dire que cette coutume s’était perdue. En effet, le vent de démocratisation qui a soufflé entre 1989 et 1990 sur le pays, a amené feu le président Mobutu Sese Seko à libéraliser le port du pantalon pour la femme et celui de la cravate pour l’homme. Depuis ce temps là, des nouvelles habitudes vestimentaires ont été prises. Des femmes jeunes et mêmes les plus âgées, ont davantage revêtu le pantalon que le pagne.
La mode aidant, le pantalon est devenu de plus en plus moulant. Cette nouvelle tenue n’est toutefois pas au goût de tous. Et certaines personnes n’hésitent pas à critiquer le port du pantalon de façon véhémente et même à établir des ‘corrélations dangereuses’ à ce sujet. «Certaines jeunes femmes exagèrent. Elles excitent les hommes avec leur pantalon moulant», se plaint Pischen, un receveur d’autobus. Ce dernier n’est pas le seul à le penser. Au Parlement, le port du pantalon est proscrit. Cette disposition est d’ailleurs consignée dans le règlement interne de cette institution. « Je pense que c’était une bonne décision de refuser le port du pantalon au Parlement. Parfois certaines femmes, surtout quand elles sont de forte corpulence, mettent certains hommes mal à l’aise », soutient Dakisi, un artiste musicien.
D’autres vont plus loin. Ils pensent que le port «d’habits sexy» est à la base des violences faites à la femme. Ce qui est malheureux, c’est que même la femme du Premier ministre congolais épouse cette opinion. Lors d’une activité commémorant la Journée Internationale de la Femme cette année, Chantal Muzitu n’a pas hésité à demander aux femmes de s’habiller «décemment» quand elles vont travailler. C’est ce qu’elle a glissé dans un commentaire alors qu’un journaliste l’interrogeait sur le VIH/SIDA. «La lutte contre le VIH/SIDA doit être renforcée, avec un engagement soutenu de la femme. Mais je demande également à la femme de s’habiller décemment pour éviter d’attirer l’homme».
Les médias répercutent cette opinion, sans même s’interroger sur son bien-fondé ou inciter les gens à la réflexion. Pour preuve, en clôturant le mois de la Femme, c’est-à-dire le mois de mars, la chaîne de télévision Digital Congo a fait un reportage sur le sujet mais l’angle choisi était le regret de voir les filles et les femmes remettre le pantalon moulant au détriment du pagne. La conclusion du présentateur était on ne peut plus claire: «Nous dénonçons le port de ce genre de pantalon par la femme congolaise»
Ces propos ne sont pas de nature à protéger les droits de la femme. «Si le pantalon moulant expose la femme à une violence potentielle et plus précisément au viol, comment explique-t-on qu’une fillette d’un an soit violée ou encore une septuagénaire, qui elles, ne portent pas de pantalon», s’indigne Antoinette Vunda, une journaliste de 60 ans.
Les Congolais ont encore du chemin à faire pour bien appréhender les notions de violences envers la femme. Consciemment ou pas, les hommes et les femmes continuent de véhiculer des stéréotypes de ce type contre la femme. Les organisations non-gouvernementales sont appelées à élever la voix pour éviter d’autres dérapages de ce type dans la perception de l’image de la femme dans la société.
Anna Mayimona Ngemba est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
Comment on Ce pantalon qui fait ‘violence’ Á la Congolaise