Criminaliser l’école buissonnière Á  Maurice ne serait pas la solution


Date: June 19, 2010
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Des mesures musclées ont été prises pour décourager les élèves et les collégiens de faire l’école buissonnière et d’aller vagabonder durant les heures de classe. Une vaste opération policière a été montée par la Brigade des Mineurs, en collaboration avec le ministère de l’Egalité de Genre, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille, de même que celui de l’Education. L’adjoint au commissaire de police, Mario Nobin, a d’ailleurs eu une séance de travail au début du mois de juin avec la ministre de l’Egalité du Genre, Sheila Bappoo et les cadres de son ministère.

La situation est si alarmante que les autorités pensent qu’il est grand temps de durcir la loi et de sanctionner tout délit de vagabondage par une peine de détention dans un centre d’éducation surveillé (Reformatory). Actuellement, les enfants pris en flagrant délit de vagabondage sont interpellés et livrés Á  leurs parents. Cette mesure est loin d’être dissuasive, estime la Brigade des mineurs.

Depuis la recrudescence de cas de fugues de l’école, une nouvelle unité de la police, la Tornado Squad, a été mise sur pied en vue de traquer les fautifs. En attendant que des modifications soient apportées Á  la Juvenile Offenders Act pour criminaliser l’école buissonnière, la police et cette nouvelle unité intensifieront leurs actions dans les lieux publics pour traquer tout élève ou collégien qui se livre au vagabondage ou qui fugue de l’école.

Les patrouilles policières seront multipliées dans certains endroits précis. Sheila Bappoo, ministre de l’Egalité du Genre, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille, estime qu’il faut concevoir une campagne nationale pour éduquer les parents sur les dangers auxquels sont exposés les adolescents ou les élèves qui fuguent ou font l’école buissonnière. «Il y a un problème énorme dans le comportement des adolescents et des jeunes. Le nombre de cas de mauvais comportements ne cesse d’augmenter de jour en jour. C’est un sujet qui doit être discuté avec plusieurs institutions, notamment les ministères de l’Egalité du Genre et celui de l’Education, la police, les écoles, les parents, les forces vives car le sort des adolescents est la responsabilité de tous les Mauriciens », estime-t-elle.

Presque tous les collégiens ont fait l’école buissonnière ne serais-ce qu’une fois dans leur vie. Leurs motifs sont divers: la paresse d’aller en classe, le refus de suivre une classe animée par un enseignant particulier ou encore le plaisir de se rendre dans les arcades commerciales ou les jardins publics, quand ce n’est pas pour aller louer une villa ou un bungalow pour fêter un anniversaire ou faire une fête spéciale entre copains et copines.
L’une des causes de l’école buissonnière est malheureusement la facilité avec laquelle les adolescents obtiennent de l’argent de leurs parents. Sans compter le transport gratuit qui leur permet de se déplacer sans difficulté d’un bout Á  l’autre de l’ile.
Il y a eu des cas d’école buissonnière tristement célèbres, dont celui de deux élèves d’une institution secondaire qui avaient préféré se rendre dans un jardin où coule une rivière pour éviter un contrôle écrit. Résultat: les deux se sont noyés. Sans oublier le cas récent de Flacq où une élève de 12 ans qui avait fait l’école buissonnière et avait volontairement suivi des jeunes sur berges d’une rivière, s’est fait violer par l’un d’eux. Les autres l’auraient violenté aussi s’ils n’avaient pas entendu le bruit d’un véhicule se rapprochant.
L’année dernière, neuf élèves, répartis en deux groupes, ont été interpellés par la Brigade des Mineurs car ils consommaient de fortes quantités d’alcool dans un restaurant. Ils étaient âgés entre 13 et 17 ans.

Trois étudiants de 16 ans fréquentant un collège d’Etat ont été récemment interpellés par la Tornado Squad. Ils ont fait l’école buissonnière pour se rendre dans un jardin. Leurs sacs contenaient du rhum, des cigarettes et des cartes Á  jouer. Leurs parents ont été informés et ils ont été, par la suite, autorisés Á  rentrer chez eux.

En 2009, 548 élèves ont été interpellés hors de l’école pendant les heures de classe. Un chiffre en baisse en comparaison Á  2009 où quelques 712 élèves ont été pris dans les filets de la Brigade des Mineurs. De janvier Á  avril 2010, 190 cas de mineurs ayant fait l’école buissonnière ont été enregistrés.

La Brigade des Mineurs tente de sensibiliser les élèves Á  ce sujet. Plusieurs causeries ont d’ailleurs été organisées dans les différents collèges secondaires et écoles primaires de l’île afin de sensibiliser les élèves sur les conséquences de l’école buissonnière. L’année dernière, quelques 16, 000 jeunes contre 12, 000 en 2008 et 6, 400 de janvier Á  ce jour, ont assisté Á  ces causeries.

Les autorités, surtout le ministère de l’Education, songent désormais Á  envoyer des SMS aux parents d’enfants ayant fait l’école buissonnière pour décourager cette mauvaise et dangereuse habitude chez les jeunes. Ce système sera introduit au troisième trimestre de 2010. Le durcissement de la loi est aussi prévu.

Beaucoup s’interrogent toutefois sur le bien-fondé de criminaliser l’école buissonnière. Ce serait briser l’avenir de ces jeunes qui ne pourront plus par exemple aspirer Á  obtenir un emploi dans la Fonction publique ou Á  servir leurs pays comme ministres ou députés du fait que ce délit figurera sur leur certificat de moralité.

Emilie Duval, docteur en psychologie clinique et responsable du département Psychosociologie et «Counselling » Á  l’Institut Cardinal Jean Margéot, expliquait le problème de l’adolescence dans un récent entretien de presse. « La prise de risque est une caractéristique de la période de l’adolescence. L’adolescent a besoin de se tester, de s’opposer aux adultes car cela l’aide Á  construire son identité, Á  devenir plus autonome. Il est important de pouvoir aider les jeunes Á  évaluer les risques et leurs conséquences; et de pouvoir mettre en place des balises qui soient claires, des limites Á  ne dépasser. »
En voulant trop sévir contre un mal, on risque de détruire un être un devenir. Peu de personnes évoquent la formation des parents qui est pourtant si nécessaire dans le monde d’aujourd’hui. Il faudra pourtant sérieusement y penser.

Jimmy Jean-Louis est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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