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Alors que la RDC est réputée pour être un pays regorgeant de réserves d’or, de diamants, de cuivre, de cobalt, de fer, de manganèse, de pétrole, de colombite-tantalite, de ressources hydriques et hydroélectriques, il est malheureux de constater que la population de ce pays croupit dans une misère noire.
Les Congolais qui travaillent sont mal payés quand ils ne sont pas mal nourris. D’autres sont au chômage et condamnés Á une pauvreté exécrable qui est caractérisée par l’absence de biens primaires et essentiels courants. Quel Congolais touché dans sa chair et dans son amour propre pourrait rester indifférent face Á cet état des lieux sombre?
Les Congolaises, toutes catégories confondues, préoccupées autant que les experts et tous ceux qui s’affairent Á administrer des soins intensifs Á l’économie agonisante du pays, se sont emparées de l’informel, secteur non structuré, pour lui prodiguer une thérapie de choc et sauver leurs familles et, par ricochet la nation.
Force est de constater que malgré le rôle combien noble et déterminant que jouent les Congolaises au sein de l’économie de leur pays et dans le maintien de l’équilibre de leurs foyers, elles ne s’épanouissent nullement. La quasi-absence des politiques susceptibles de leur permettre de maximiser leurs efforts, les maintient dans un état de pauvreté et constitue un frein Á leur développement.
A ce propos, Eliane Munkeni, expert et associée gérante de l’entreprise ACF et Associée explique que «les Congolaises stagnent dans ce secteur pour fuir les contrôles fiscaux intempestifs. Car les contrôleurs proviennent de toutes les entités de l’Etat avec ou sans ordre de mission. Elles évitent aussi d’exhiber la comptabilité de leurs activités qu’elles considèrent comme une contrainte ou un instrument de répression de l’administration fiscale et d’autres organes de l’Etat ».
Selon cet expert-comptable, «les femmes entendent conduire leurs affaires comme elles l’entendent sans contraintes, ni formalités complexes et onéreuses. Si elles n’avancent pas dans leurs affaires, c’est Á cause des difficultés de trésorerie. Ainsi, elles sont poussées dans leurs activités Á prendre des crédits Á un taux élevé qui entraînent des charges et les enlisent dans le secteur informel. Le non accès aux crédits ou son accès mais Á un taux d’intérêt élevé complique davantage leur situation économique et elles se retrouvent vite en rupture de stocks de marchandises et sont donc confrontées aux difficultés de paiement qui les poussent au changement continuel d’activités dans l’espoir d’en trouver une autre plus fructueuse et moins exposée au contrôle de l’Etat ».
L’Etat congolais n’a pas défini clairement une politique d’appui au secteur informel qui aurait permis aux femmes entrepreneurs de jouer pleinement leur rôle dans la vie économique du pays. Eliane Munkeni le confirme sans ambages: «Les autorités ne font rien de concret en faveur des femmes, bien qu’elles évoquent la mise en place de programmes d’aides Á la femme. Et pourtant, sous d’autres cieux, comme en Afrique du Sud par exemple, le ministère de Commerce a un programme précis pour la femme. L’Etat sud-africain accorde Á la femme qui présente un projet viable, un financement pour le mener Á bien. Il l’exempte de taxes jusqu’Á ce qu’elle atteigne un seuil en matière de chiffre d’affaires ou en termes de résultat avant l’impôt ».
Si les hommes d’affaires congolais réussissent un peu mieux, c’est qu’ils sont plus écoutés par les banques qui leur accordent facilement des crédits contrairement aux femmes dont on sous-estime les capacités d’organisation d’affaires, de prise de responsabilités et de risques, souligne-t-elle avec amertume.
Le niveau d’instruction limité de certaines femmes entrepreneurs congolaises sur la manière de conduire et d’organiser leurs affaires les défavorise également, estime-t-elle.
Le prof abbé Phocass Phunga Phunga des facultés des sciences économiques de Kinshasa a une autre lecture des choses. «Ce n’est pas seulement la femme qui s’enlise dans l’informel, c’est plutôt toute notre structure économique qui ne permet pas tant aux femmes qu’aux hommes d’émerger de l’informel pour entrer dans le formel. Donc, ce sont ceux qui sont apparemment les tenants du formel qui font tout pour que l’informel subsiste parce qu’ils en tirent énormément de profits », déclare-t-il.
Pour lui, «cette question n’est pas une question de genre dès lors qu’il s’agisse de l’informel ou du passage de l’informel au formel. C’est plutôt un problème de structure dans laquelle évolue le pays et les acteurs du pouvoir public ne veulent pas que la situation change », estime-t-il.
«C’est grâce Á l’informel que la femme soutient son foyer », indique Thérèse Okana, promotrice d’une organisation non-gouvernementale (ONG) d’encadrement des femmes et opératrice économique. «Pour aider ces dernières Á opter pour le formel, je les recense et les catégorise en groupes que je nomme quatre D: femmes Distinguées, Dynamiques, Déterminées et Décidées. Mon ONG les encourage Á se convertir au formel afin de travailler avec les banques privées du pays. Cela pour les amener Á améliorer leurs affaires et Á être en règle envers les autorités politico-administratives ».
Le gouvernement congolais a pris la responsabilité de former l’entreprenariat féminin pour que les Congolaises participent au développement socio-économique du pays. Du moins, c’est ce que disent les documents officiels et les déclarations et autres conventions signées. Pour répondre aux recommandations du protocole de la SADC sur le Genre et le Développement et du plan d’action de Beijing, le programme national pour la promotion de la femme congolaise, qui a été réactualisé (2005-2015), s’articule autour de 12 sous programmes dont l’accès des femmes aux ressources économiques, formulés sous forme d’objectifs spécifiques avec des stratégies.
Dans ce document, il est dit que les femmes sont 61,2% Á vivre en dessous du seuil de la pauvreté. Ce programme note par ailleurs que quelques-uns de ces objectifs poursuivis par le gouvernement visent Á réduire de moitié le pourcentage de femmes qui ne peuvent accéder aux opportunités économiques, soit de 40% Á 22%. Le gouvernement congolais entend également faciliter l’accès aux crédits et aux technologies appropriées pour 40% des femmes du secteur informel et pour 30% des femmes affectées dans l’agriculture traditionnelle. Tout cela est sur papier. Mais dans la pratique, les choses stagnent.
«Il existe certaines dispositions juridiques qui rendent difficile la prise d’initiatives pour favoriser le développement commercial des entreprises de femmes », affirme le ministre de l’Industrie, Mboso Kiamputu, qui confirme qu’il faut toujours que la femme obtienne l’autorisation maritale pour pouvoir ouvrir un compte bancaire et même pour accéder au registre du commerce.
«Ce contraste interpelle le gouvernement qui dans son Programme d’Actions Prioritaires, conformément au document de stratégie pour l’intégration du genre et au document de stratégie pour la relance et le développement du secteur privé (DSCRP), envisage de réduire cet écart en rendant prioritaire des activités de femmes. Il s’agit entre autres du renforcement de la visibilité des femmes entrepreneurs en les englobant dans un processus de transfert de leurs activités du secteur informel vers le secteur formel ».
Un autre membre du gouvernement congolais, Olivier Kamitatu, ministre du Plan, reconnaît l’apport de la femme face Á la désagrégation du tissu économique. «Sur le plan économique, la dernière enquête réalisée par l’Institut National des Statistiques (INS) 2004-2005, avec l’appui des partenaires au développement, montrent qu’il y a 2,9 millions d’entreprises individuelles qui sont les propriétés de femmes considérées comme des managers en RDC. Ces 2,9 millions d’entreprises sont toutes ancrées dans le secteur informel. Selon l’INS, elles produisent 10 milliards de dollars américains qui circulent dans le secteur informel », souligne le ministre Kamitatu.
VoilÁ un paradoxe que l’Etat devrait résoudre en renforçant les capacités des femmes pour qu’elles trouvent des solutions durables Á la réduction de la pauvreté et pour les incorporer dans le circuit formel. Ce faisant, elles pourraient contribuer Á la reconstruction du pays.
Constance Tekitila Mafuta est journaliste en RDC. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
2 thoughts on “En RDC: L’entreprenariat féminin est ‘prisonnier’ du secteur informel”
Merci pour cet article très instructif qui retrace la réalité de notre pays.
Pourrais-je avoir l’article en entier svp?
Merci pour le document, sa richesse est une banque de données pour l’entrepreneur congolaise