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Que ce soit pour la scolarité des enfants, le loyer, les soins médicaux, bref, tout le poids du ménage repose sur ses épaules pourtant fragiles. Face Á cette dure réalité, de nombreuses femmes recourent Á ce que l’on appelle dans le jargon populaire l’article 15 d’un Code de survie qui n’a rien d’officiel et qui dit: «Débrouillez-vous ».
Les lieux de prédilection de plusieurs Congolaises sont les différents ports qui bordent le fleuve Congo, ainsi que les différents marchés urbains de la capitale Kinshasa. Leur rôle: servir d’intermédiaire aux transactions commerciales entre vendeurs et acheteurs de produits vivriers agricoles en provenance de l’intérieur du pays. Après une telle opération, elles reçoivent une quantité de produits pour lesquels elles ont négociés.
C’est ainsi qu’Á l’issue d’une journée de dur labeur, chacune de ces femmes que l’on nomme les «Mama Bipupula », se retrouve avec un peu de manioc, de maÁ¯s, d’huile de palme, de poisson, de viande de brousse, pour ne citer que ceux-lÁ , qu’elles ramènent chez elles ou qu’elles revendent pour se faire un peu d’argent.
Estimées Á environ 600 000 dans Kinshasa par le ministère des Affaires sociales, ces femmes sont aussi connues comme les «femmes aux mille bras ». Tous âges confondus, elles sont veuves, divorcées, filles-mères démunies et pauvres dans la majorité des cas.
Leur mise est négligée, leur chevelure ébouriffée. Elles ont oublié leur féminité. Elles triment tant et plus et sont tellement confrontées aux dures réalités de la vie au quotidien qu’elles sont maigres et plates comme des planches. Les «Mama Bipupula » quittent leurs domiciles tous les jours Á 4 heures du matin pour ne retrouver leurs enfants déjÁ endormis que vers 21 heures. De ce fait, elles n’ont pas le temps de soigner leur apparence et paraissent même beaucoup plus âgées qu’elles ne le sont en réalité.
Hélène Butandu, 65 ans, est l’une de ces «Mama Bipupula ». Elle est mère d’une famille nombreuse et son mari est un retraité d’une banque de la place. «Mon mari ne fait plus rien. Je me débrouille pour tenir la maison en faisant un petit commerce », explique-t-elle l’air accablée.
Veuve et mère de quatre enfants, Angèle Ngumbi raconte: «Depuis que mon mari est allé au front en 2004, il n’a plus jamais donné signe de vie. Je me débrouille seule et j’élève mes enfants en vendant des produits vivriers au marché communal de Masina ».
C’est aussi le cas de plusieurs autres femmes qui travaillent durement en réseaux organisés, encadrées par certaines organisations non-gouvernementales, notamment le Réseau des mutuelles des «Mama Bipupula » de Masina qui compte plus de 1000 adhérentes.
Grâce Á l’appui de cette structure dont la mission essentielle est d’aider ces femmes Á combattre la pauvreté Á l’aide de leurs cotisations, ces dernières se prennent en charge.
«En cas de décès de l’un de nos membres ou de son dépendant, nous prenons en charge les frais des funérailles », indique le président de cette ONG, Albert N’soba, qui ajoute: « Il nous arrive de mobiliser un camion de produits vivriers appartenant Á un commerçant venu de l’intérieur du pays et de confier la vente Á certaines de nos membres afin qu’elles puissent bénéficier de quelque chose ».
Mais Á Kinshasa, ces femmes qui favorisent le marché triangulaire des biens et des services, sont mal vues. «Ces Mama Bipupula sont Á la base de la flambée des prix des denrées alimentaires sur le marché », entend-on souvent dire.
«Faux », rétorque Angèle Kahusu, membre de la corporation, qui s’insurge contre toutes ces allégations qu’elle qualifie de «mensongères. Quand un sac de cosette de manioc de 50 kilos coÁ»te 40 000 francs congolais, soit 35 dollars américains, mon arbitrage entre le vendeur et l’acheteur n’a aucune incidence sur le prix de vente initial », soutient-elle, «car le marché est dicté par la loi de l’offre et de la demande ».
«Les activités de ces femmes dans les ports et les marchés sont informelles et donc illégales », estime Musoki Nzolameso Joachim, préposé des prix dans un port de Kinshasa. Il appelle l’Etat Á interdire cette pratique.
Cependant, compte tenu de la conjoncture que traverse le pays, le gouvernement tolère ces femmes afin d’alléger un tant soit peu leurs souffrances.
Se référant Á une étude 2007/2008 publiée par l’Institut National des Statistiques (INS), 10 milliards de dollars US circulent dans le circuit informel. Chiffre que confirme le ministre congolais du Plan, Olivier Kamitatu.
«Cela démontre l’apport capital que joue le secteur informel dans l’économie congolaise », souligne-t-il, avant de signifier que cette masse d’argent qui n’entre pas dans le circuit bancaire, se trouve entre les mains des femmes commerçantes, dont les «Mama Bipupula ».
Pour Joséphine Isalu, coordonnatrice du Projet de Renforcement des capacités des structures d’encadrement et de promotion du secteur privé et des réseaux des ONG féminines de la société civile (CASPOF), Á voir la volonté, le courage et la détermination des «femmes aux mille bras », il y a nécessité de porter appui Á ces «braves femmes » qui sont décidées Á combattre Á leur manière la pauvreté et Á porter leur pierre au développement de la RDC.
Comme quoi, les «Mama Bipupula » ont bien assimilé l’article 15 du Code de Survie et se débrouillent comme elles le peuvent.
Constance Tekitila Mafuta est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Comment on En RDC: les «Mama Bipupula » appliquent Á la lettre le Code de Survie