Grâce Lula: l’artisane de paix de Kinshasa en RDC


Date: May 22, 2010
  • SHARE:

Kinshasa, la capitale congolaise, a aussi ses points chauds, c’est-Á -dire des quartiers bastion de la violence et de troubles, de bagarres rangées provoquées par des hordes de jeunes délinquants et de drogués appelés « Kuluna ». Des jeunes sans foi, ni loi, qui tels un ouragan, cassent et pillent tout sur leur passage.

Parmi ces quartiers, il y a «Tshangu », qui Á  une certaine époque, était très célèbre en la matière. En effet, en ces temps-lÁ , tous les troubles, les désordres, les mots d’ordre des «villes mortes ou de désobéissance civile » qui paralysaient Kinshasa, partaient toujours de «Tshangu », avant de se répandre sur toute la ville. C’était un coin très dangereux.

Habité en majorité par les Yaka, originaires de la province du Bandundu, province voisine Á  la ville de Kinshasa, connus surtout pour leur caractère têtu, même par le colonisateur belge, « Tshangu » était surnommé « Zone rouge », tellement que la violence y avait élu domicile.

Les comportements des jeunes de «Tshangu » ont fini par motiver une jeune femme: Grâce Lula, habitant elle-même ce quartier, où elle était souvent témoin oculaire des graves et sanglants événements qui s’y produisaient. Présidente de l’organisation non-gouvernementale (ONG) «Ligue des femmes pour le développement et l’éducation Á  la démocratie » (LIFDE) », Grâce Lula a initié un projet intitulé «Projet d’appui Á  l’accompagnement des communautés de base des communes périphériques de Kinshasa-Est, dans le domaine de la construction de la paix et de la démocratie, l’éducation Á  une citoyenneté responsable ». Avec l’appui de l’ONG allemande «Pain pour le monde », elle réalise ce projet Á  partir de 2007.

« Nous vivions ici des scènes de violence inouÁ¯es, parfois Á  base d’un fait banal.
On vivait des bagarres publiques, opposant des familles, des jeunes délinquants entre eux, des jeunes Á  la police. Et parfois, cela se terminait par mort d’homme.
Des morts inutiles qu’on pouvait éviter », indique Grâce Lula.

Soucieuse de mettre fin Á  cette violence aveugle qui caractérisait « Tshangu » et de consolider la paix Á  la base et d’aider Á  résoudre Á  l’amiable certains conflits mineurs, «Á  travers le projet que j’ai initié, j’ai constitué des « Noyaux d’artisans de paix » après formation, dans les communes de Masina, Ndjili et de Kimbanseke, qui constituent Á  la fois l’espace « Tshangu » et notre rayon d’action », a déclaré la présidente de la LIFDED.

Les jeunes ainsi sélectionnés ont été formés sur la promotion des droits humains, l’accompagnement des communautés de base Á  la résolution pacifique des conflits, la non-violence, la tolérance, le pardon, le dialogue, l’amour, la justice, la vérité, bref,…sur la paix. Si dans notre programme de construction et de consolidation de la paix, nous avons pensé associer les jeunes, c’est juste pour les intégrer et les initier petit Á  petit aux vertus de la non-violence, de la tolérance, du pardon, du dialogue, de l’amour, de la justice, de la vérité et de la paix », a-t-elle insisté.

De 2007 Á  ce jour, la LIFDED a déjÁ  formé en deux sessions, 400 artisans de paix, dont 200 hommes et 200 femmes, parité oblige. Dans la discrétion, ils abattent un travail de fourmi, aidant Á  réconcilier des personnes tant au sein des communautés de base, des familles, des quartiers, des entreprises que des églises, a expliqué Grâce Lula, qui annonce, par ailleurs, la formation incessante pour plus d’efficacité et de visibilité, de 200 autres artisans de paix, Á  raison de 100 hommes et 100 femmes.

S’adressant au dernier groupe d’artisans de paix en fin de formation en mars dernier, Grâce Lula déclarait: «Rappelez-vous que vous n’êtes pas des héros. Souvenez-vous Á  quel moment intervenir dans un conflit pour ne pas être soi-même victime. Revêtez-vous d’abord, au fur et Á  mesure, du profil de véritable artisan de paix afin de donner aux autres le bon exemple. Les outils et techniques qui vous ont été transmis lors de la formation, le Vade Mecum de l’artisan de paix, ainsi que votre cahier de charge, sont autant d’instruments qui vous serviront dans votre travail de terrain ».

Présente Á  cette cérémonie, la bourgmestre de la commune de Masina, Ernestine Mujinga, après avoir loué le travail qu’abattent les Artisans de paix dans sa municipalité, reconnaît que «grâce Á  l’action de ces derniers, dans la résolution pacifique des conflits, la commune de Masina enregistre effectivement depuis 2007, de moins en moins des conflits des limites parcellaires, des bagarres de rue, des scènes de jalousie entre rivales, des vols Á  mains armées, des braquages, voire même la prostitution des filles mineurs ».

Et de poursuivre: «Nous devons dans la résolution pacifique des conflits nous investir pour que la paix règne partout où nous sommes, dans nos familles, nos quartiers, nos communautés de base car même en période de paix, la violence au quotidien est une dure réalité Á  laquelle nous sommes confrontés. Même s’il n’y a pas d’actions militaires, de conflit armé, la violence quotidienne n’attire notre attention que lorsqu’elle devient fatale ».

Abordée, une artisane de paix, Berthe Vudiza, de la commune de Ndjili, définit son rôle en ces termes : «Nous, les artisans de paix, nous avons un rôle important Á  jouer au sein des communautés de base. Nous ne cherchons pas Á  devenir des juges, ni Á  nous substituer en instances judiciaires habilitées Á  instruire des dossiers, Á  juger et Á  condamner. Artisans de paix, notre rôle se limite Á  la négociation, Á  la médiation pour aider les partis en conflits Á  trouver des solutions Á  l’amiable, des solutions qui n’altèrent pas leurs relations, ni la cohabitation pacifique après un règlement de contentieux. Bien entendu, en cas de non accord entre les partis en conflits, ils sont libres de s’adresser aux instances judiciaires compétentes ».

Brigitte Moyo, une autre artisane de paix de la commune de Kimbanseke, parle de son expérience de terrain : «Dans mon quartier, je note beaucoup des conflits dans les couples – bagarres entre époux, grossesses de jeunes filles, méconduite de l’un des époux pour ne citer que ceux-lÁ , entre voisins de parcelles, entre bailleurs et locataires. Jouant au sapeur pompier, je fais savoir Á  mes interlocuteurs que la paix n’atteindra le sommet que si au niveau de la base, nous ne nous mettons pas Á  la construire sérieusement et avec les matériaux qu’il faut, tel que les vertus de tolérance, de tempérance, l’esprit d’écoute, le dialogue permanent, la vérité, le pardon, la réconciliation, ainsi que l’acceptation et la valorisation de nos différences et de nos diversités. Et généralement, ils m’écoutent ».

Brigitte Moyo explique qu’il lui arrive parfois de s’adresser aux jeunes Á  travers leurs différentes associations Á  la base. «Ne servez plus jamais de marchepieds aux politiciens qui recourent Á  vous dans le seul but d’accéder au pouvoir. Soyez patriotes, protégez jalousement la paix chèrement acquise après tant d’années de guerres qu’a connu notre pays ». Effectivement fatigués de l’instabilité récurrente, le message passe bien. «Ils m’écoutent attentivement et dans la plupart des cas, ils promettent de s’y engager ».

Quatre ans aujourd’hui après le lancement du projet de pacification de Tshangu par
Grâce Lula, le constat est élogieux: l’épicentre de la violence s’est effectivement déplacé de «Tshangu » vers la partie ouest de Kinshasa. La télévision nationale ne cesse de montrer ces dernier temps des jeunes «Kuluna » arrêtés dans d’autres coins de Kinshasa par la police, sauf Á  «Tshangu » et en train d’être embarqués dans des avions pour être emprisonnés Á  vie Á  l’intérieur du pays.

De «zone rouge », « Tshangu » a viré aujourd’hui Á  « zone verte ». En trois ans d’un travail de porte-Á – porte dans la discrétion, ce quartier bouillant d’hier est devenu une oasis de paix où il fait bon vivre. Une mention spéciale doit être accordée Á  Grâce Lula, l’artisane de paix de «Tshangu » Á  Kinshasa. Satisfait de la discipline dont fait preuve la population, le gouvernement a doté «Tshangu » d’un marché moderne baptisé « Marché de la Liberté ».

Urbain Saka-Saka Sakwe est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


Comment on Grâce Lula: l’artisane de paix de Kinshasa en RDC

Your email address will not be published. Required fields are marked *