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Malgré tout ce qu’elle subit, elle éprouve encore de l’amour pour son mari et veut l’aider Á s’en sortir. Ce dernier a commencé Á boire avec des copains lorsqu’il n’avait que 16 ans. Quinze ans après, la bouteille est devenue son inséparable compagnon. Anne-Lise garde l’espoir qu’un jour son mari fera une croix sur la boisson.
Anita connaît les mêmes déboires : «Chaque soir, lorsque j’entends son pas, j’ai peur. Je vis dans une angoisse quotidienne. Il y a des jours où je ne peux plus manger tant j’ai peur. Il devient agressif quand il est ivre. A deux reprises, il a balancé mon portable Á terre et le téléphone a volé en éclats. Quand j’étais enceinte, il mettait ses pieds sur mon ventre et me dénigrait. Sans compter les nombreuses scènes de jalousie qu’il me fait lorsque nous allons Á une fête et qu’il boit. Il m’a déjÁ cogné la tête contre le mur sous les yeux de ma fille de trois ans. »
Après six ans de ce régime violent, elle a décidé de plier bagages et de retourner chez sa mère, emmenant ses deux enfants avec elle. Heureusement qu’elle a encore son emploi de fonctionnaire et qu’elle peut tant bien que mal subvenir aux besoins de ses enfants. Elle ne peut compter sur son mari qui a perdu son emploi en raison de ses absences répétées pour cause d’ivresse.
L’alcoolisme n’est pas une fatalité mais force est de constater que les structures mises en place tant pour aider les alcooliques Á s’en sortir que pour la prévention, peinent Á fournir des résultats efficaces. Un point de vue que partage Gérard Lesage, directeur de la National Agency For the Treatment and Rehabilitation of Subtances Abusers (NATreSA). «Tout en voulant faire de notre mieux, nous réalisons la complexité de notre tâche. Il y a des réussites mais elles ne sont pas aussi nombreuses que nous l’aurions souhaité. Avec les moyens dont nous disposons, nous faisons quand même de notre mieux. Nous essayons de freiner la progression d’abus d’alcool et de drogues mais nous sommes conscients de notre impuissance. C’est pour cela que nous essayons de miser davantage sur la prévention chez les jeunes. »
C’est ainsi que la NATreSA commence son travail de prévention sur les méfaits de l’alcool dès la maternelle. C’est d’ailleurs avec émotion que Gérard Lesage raconte l’histoire de ce petit garçon de maternelle où la NATreSA a fait de la sensibilisation et qui une fois rentré chez lui, a supplié son père d’arrêter de boire. Dans son langage d’enfant, il a fait comprendre Á son papa que les fréquentes disputes dues Á l’alcool rendaient sa vie infernale. Il a fallu cela pour que le père réalise ce qu’il faisait et mette un terme Á ses mauvaises habitudes. D’où la colère du directeur de la NATreSA de ne pouvoir aider plus efficacement les alcooliques.
Lui-même un ancien alcoolique, a énormément lutté pour voir la lumière au bout du tunnel. Les 1,3 million de roupies (plus de 300 000 rands) proposées aux huit centres de solidarité chaque mois sont loin de suffire. Sans compter que les ressources humaines dédiées Á cette cause ne courent pas les rues.
La NATRESA s’attarde davantage sur les méfaits de l’alcool au sein de la cellule familiale: «On a vu récemment plusieurs cas d’enfants qui deviennent orphelins de mère Á cause de l’alcool. C’est sous influence que les pères tuent les mères en les soupçonnant d’infidélité ou lors d’une banale dispute. Ou encore parce qu’ils deviennent violents quand ils boivent. La situation est alarmante. »
Les chiffres du ministère de la Santé traduisent bien cette progression dans la consommation d’alcool Á Maurice. Les Mauriciens, soit un million et quelques deux cent mille âmes, ont consommé quelque 36 millions de litres de bière, sept millions de litres de whisky, et six millions de litres de rhum en 2008. Le Director of Health Services du ministère de la Santé, le Dr Maryam Timol, précise qu’aujourd’hui, presque 45 % des admissions Á l’hôpital Brown Séquard (hôpital où l’on traite les personnes atteintes de troubles mentaux et celles qui ont une dépendance Á l’alcool) sont liées Á la consommation excessive d’alcool.
L’an dernier, 3 500 personnes ont été admises dans cette institution, toujours Á cause de l’alcool. Le Dr Timol s’inquiète doublement de cette tendance : «Le fait que les jeunes commencent Á boire de plus en plus tôt vient se greffer sur ce problème initial. Souvent bien avant l’âge de 20 ans, ils sont déjÁ très dépendants de l’alcool. Malheureusement lorsqu’ils se marient, ils ne vont pas modifier leurs comportements pour autant et c’est toute la famille qui se retrouve entraînée dans une histoire malheureuse et souvent tragique. »
L’alcool s’est aussi infiltré Á l’école. Récemment, un collégien ivre est tombé d’un autobus et est mort de ses blessures. Cinq jeunes étudiantes d’un collège d’Etat ayant abusé de l’alcool, se sont mis Á insulter leur rectrice. Le Dr Timol fait remarquer qu’il y a eu une «féminisation du phénomène et cela dès le plus jeune âge. C’est vraiment déplorable. C’est d’ailleurs pour cette raison que le ministre de la Santé a démarré sa campagne de sensibilisation sur les nouveaux règlements concernant l’alcool dans un collège de filles du centre de l’île ».
Elle craint qu’il y ait lÁ une nouvelle tendance qui se dessine. Il y a une dizaine années, les complications liées Á la dépendance d’alcool démarraient vers la quarantaine. Aujourd’hui, des jeunes de 25 ans sont pris dans cet engrenage.
Si les autorités se vantent d’avoir mis en place de nouveaux règlements pour freiner la progression de la consommation d’alcool, le suivi se fait laborieusement. Un des aspects de la nouvelle loi est d’interdire la consommation d’alcool en public, sauf sur la plage.
Malgré ces règlements, dans certaines villes, les gens continuent Á boire sous les boutiques au nez et Á la barbe des autorités alors que c’est censé être interdit. C’est l’application dudit règlement qui est difficile. Une fonctionnaire du ministère de la Santé admet que «le suivi ne se fait pas rigoureusement. De plus, des concessions faites ici et lÁ ont affaibli la mesure. Au Champ de Mars, lieu public de la capitale où se déroulent les courses hippiques, l’alcool n’a pas été banni. Les joueurs ne boivent plus sur les gradins mais dans les échoppes. Au départ, la plage avait été identifiée comme un des endroits où l’on devait bannir la consommation d’alcool. Mais la politique a eu raison de la santé des gens. Du coup, on n’a pu frapper un grand coup. »
Cette impuissance des autorités vient mettre en avant l’ampleur du problème de l’alcoolisme Á Maurice. «Il y a des années, on buvait pour de grandes occasions, soit les mariages, baptêmes, anniversaires. Aujourd’hui, on boit pour le plaisir, lors d’un jour de congé public, lors d’une sortie Á la mer, bref, toutes les situations s’y prêtent. Ce qui ne manque pas de créer des addictions », fait remarquer le Dr Timol.
Les organisations non gouvernementales (ONG) se retrouvent aussi dans une situation difficile. «Le problème a pris des proportions alarmantes mais nous n’avons pas suffisamment de moyens. L’Etat nous aide mais il en faut plus pour venir Á bout du fléau. Il est clair que le nombre d’ONG qui donnent un coup de main sur ce dossier est également insuffisant », soutient une employée d’Etoile d’espérance. C’est le même sentiment qui anime les travailleurs sociaux.
Mais les responsables des ONG ne veulent pas s’avouer vaincus. Même s’ils admettent qu’ils sont un peu dépassés parfois, ils entendent persévérer dans la lutte contre ce fléau…
Jane L. O’Neill est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Comment on L’alcoolisme est en progression affolante Á Maurice