Le calvaire des femmes intermédiaires


Date: October 23, 2009
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Le libéralisme économique intégral instauré pendant l’ère du président feu Mobutu Sese Seko a donné naissance Á  un système économique marqué par une rupture des équilibres fondamentaux qui a causé le désengagement des Congolais du secteur formel et a donné lieu Á  une hyper expansion du secteur informel.

Dans ce pays, l’informel constitue désormais une nouvelle dynamique sociale et économique. Le phénomène des «femmes intermédiaires ou entrepreneurs », communément appelé en lingala, une des quatre langues nationales, les «mamans bipupula », s’inscrit dans la logique de la debrouilladise pratiquée par plusieurs Congolais pour survivre. Elles sont Á  l’Å“uvre dans les ports privées de Kingabwa, partie est de Kinshasa, Lomata, Maman Ngalu, Baramoto, Equateur, Petro, Congo, Appolo et Celco et dans le port public de l’Office Nationale des Transports, ainsi que dans différents marchés publics Á  Kinshasa.

Pour les habitants de Kinshasa, ces ports constituent des greniers de ravitaillement en produits vivriers de première nécessité, Á  savoir, de la viande boucanée, du maÁ¯s, de la volaille, du manioc, du riz pour ne citer que ceux-lÁ .

L’activité des «mamans bipupula » consiste Á  intervenir dans les opérations de partage de sacs de manioc et de maÁ¯s entre les commerçants d’une part, et d’autre part, d’apporter de l’aide aux vendeuses en arrangeant et épluchant les produits et les placer lÁ  où il faut et en retour bénéficier d’une certaine quantité de farine de maÁ¯s moulue et de manioc ou de quelques cossettes et grains de maÁ¯s, ainsi que des déchets résultant de l’épluchement.

Albertine Mayeno, âgée de 58 ans, que tout le monde dans la commune de Ngaliema Á  Kinshasa ouest, appelle affectueusement «maman Mundele » Á  cause de sa peau de métisse, est une femme qui pratique ce métier depuis plus de 20 ans. Mère de cinq enfants et veuve, Albertine Mayeno indique que ce métier lui a permis de nourrir sa famille, d’élever ses enfants, même du temps où son mari était encore vivant.

«J’ai commencé ce métier de maman bipupula depuis 1985 alors que j’étais encore mariée. Mon mari était chômeur et ne trouvait pas de travail décent. Même s’il arrivait parfois qu’il puisse trouver un travail de sentinelle ou de domestique, ces travaux saisonniers n’arrivaient toujours pas Á  couvrir nos besoins », explique-t-elle. «C’est ce qui m’a poussée Á  chercher un métier pour subvenir aux besoins vitaux de ma famille ».

Albertine Mayeno indique qu’avant les pillages de 1991 et de 1993, le métier de «maman bipupula » était rentable et lui a même permis de s’acheter une parcelle de terre pour y loger sa famille. Mais lors de la crise ayant suivi les pillages, ce métier a perdu son essence pour être considéré aujourd’hui comme le métier de «la basse classe ou des plus démunies ».

«Aujourd’hui, il est impensable de s’acheter ne serais-ce qu’un terrain avec les maigres revenus, qui arrivent Á  peine Á  couvrir les besoins fondamentaux ou encore payer les études universitaires d’un enfant », affirme-t-elle.

Elle explique l’organisation sociale de l’activité «mamans bipupula »: «Nous quittons quotidiennement nos domiciles vers 5h pour prendre d’assaut les ports et exercer notre activité au même moment où les acheteurs et les vendeuses démarrent leurs opérations ».

«Il nous faudra attendre que celles-ci achètent leur sac de manioc ou de maÁ¯s par association de deux ou de trois personnes pour que nous les aidions Á  le départager équitablement et pour qu’Á  la fin de journée, nous soyons en mesure d’amasser une bonne quantité de maÁ¯s et manioc que nous pourrons en retour vendre pour avoir quelques sous ».

Albertine Mayeno explique que même si le métier de «maman bipupula » ne lui a pas permis de scolariser convenablement ses enfants, il lui a offert l’opportunité de les élever plus de dix ans après la mort de son mari en leur offrant le minimum vital et une orientation vers l’apprentissage de différents métiers Á  des fins d’autonomie.

Elle a aussi initié quelques membres de sa famille dans la pratique de ce métier pour qu’Á  leur tour, ils assurent la survie de leurs enfants.

«Maman Marie Suede », 45 ans, est une femme qui exerce le même métier qu’Albertine. Elle a été abandonnée par son mari. Il lui a laissé leurs quatre enfants sur les bras. «Au lieu de descendre de bonne heure sur les ports de la capitale comme le font d’autres mamans bipupula, je reste chez moi pour attendre le retour des vendeuses des ports, généralement entre 16 et 17 heures et prendre d’assaut différents moulins que fréquentent ces vendeuses afin de leur proposer mes services », explique-t-elle.

«Je leur propose d’éplucher et d’apprêter les cossettes Á  leur place étant donné qu’elles rentrent fatiguées. En retour, je bénéficie d’un ekolo de farine moulue, pot servant de mesure pour la vente du fufu ou la farine de manioc. A la fin de la journée, je pourrai en vendre une partie et ramener l’autre Á  mes enfants », relate-t-elle, ajoutant que des fois, lorsqu’elle n’a pas réussi Á  amasser une somme décente pour son foyer, elle va jusqu’Á  s’improviser porteuse de sacs ou de bassines de farine de manioc ou de maÁ¯s Á  destination des différents points de vente ou jusqu’au domicile de leurs propriétaires.

«Quand nous épluchons les cossettes de manioc », poursuit-elle, «Á  la fin de la journée, nous avons le droit de récupérer les déchets que nous allons vendre aux propriétaires de porcheries et aux fabricants de bière locale et cela nous aide également Á  nous faire un peu d’argent ».

«D’autres femmes intermédiaires vont jusqu’Á  ramasser les poussières de farine dans les moulins pour les revendre aux fabricants de bière locale, toujours dans le but de trouver de quoi assurer la survie de leurs foyers, souligne-t-elle.

Le revenu quotidien des «mamans bipupula » est estimé entre cinq et sept dollars américains, soit l’équivalent de 50 Á  60 rands par jour. Ce revenu moyen est jugé suffisant par la majorité de ces dernières dans la mesure où il leur permet de satisfaire leurs besoins essentiels et fondamentaux (alimentaires, vestimentaires et de logement) mais pas certains autres. Elles n’ont pas de toit sur leur tête, ni de facilités sanitaires.

Ces femmes auraient souhaité voir leur activité réglementée par les pouvoirs publics. Tout comme elles auraient également voulu pouvoir obtenir de emprunts sous un plan de microcrédit afin d’exercer des métiers plus rentables Á  l’avenir et dans d’autres secteurs, étant donné les médiocres dividendes qu’elles obtiennent dans celui d’intermédiaires.

Elsa Indombe est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.


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