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Economie
Le secteur informel : valeur refuge pour la Congolaise
Par Elsa Indombe
Le secteur informel congolais est populaire car il est le refuge des couches sociales déshéritées. En République Démocratique du Congo, l’accumulation des capitaux sur une échelle plutôt spéculative que productive est réservée Á une minorité. Il est vrai que ce secteur dépassé par l’accroissement de la population active et par les difficultés, pose le problème d’une concurrence parfois déloyale Á laquelle l’Etat ne parvient pas toujours Á trouver des solutions.
A la base, il y a au fil du temps la dégradation des conditions de vie du salarié congolais. La faiblesse des revenus mensuels et l’insuffisance d’emplois a débouché sur plusieurs maux, Á savoir la mendicité, la corruption, le banditisme, le vol, la prostitution, les pillages.
Ces pratiques engendrent Á leur tour divers autres maux favorisant la perte des valeurs morales. En effet, la prostitution contribue Á l’augmentation des maladies sexuellement transmissibles, les pillages de 1991-1993 ont détruit les infrastructures économiques et sociales, tout en envoyant au chômage bon nombre de personnes. Ce qui a aggravé la pauvreté, avec pour résultat la déstabilisation des ménages.
Mais l’avers de la médaille n’est pas aussi noir car ces problèmes ont aussi favorisé l’émergence d’activités informelles et du petit commerce.
Bon nombre des femmes qui avaient passé toute leur vie au foyer, ont dÁ» sortir de leur maison et se lancer dans l’exercice d’activités dites de survivance en raison du fait que les revenus qui y sont dérivés complémentent le salaire marital qui serait Á lui seul insuffisant pour couvrir tous les besoins courants.
Ces activités portent essentiellement sur divers biens et particulièrement des devises, les pierres précieuses, en l’occurrence le diamant, les vêtements neufs et usagés (buaka nzoto), les bijoux, les produits agricoles, les cosmétiques et plusieurs autres produits illicites.
« Bwaka Nzoto », l’activité pratiquée Á Kinshasa, n’est rien d’autre que la vente de pagnes usagés et d’autres articles et biens provenant des foyers kinois plus opulents tels que des téléviseurs, des radios, des réchauds, des couverts de cuisine, des vaisseliers, des chaussures, des fers Á repasser, pour ne citer que ceux-lÁ .
Marie-Louise Okele, 42 ans, divorcée et mère de trois enfants, exerce ce commerce depuis plus de 10 ans. Elle affirme avoir embrasé cette activité de «Buaka Nzoto » sur les recommandations d’une amie exerçant la même activité. «J’ai débuté ce petit commerce alors que j’étais encore mariée. Cette activité m’a permis de tenir le coup après la séparation d’avec mon mari et de continuer Á élever et Á scolariser mes enfants ».
Pour elle, la crise économique que traverse la République Démocratique du Congo ces 18 dernières années est Á la base de cette activité pour bon nombre des femmes dans la capitale.
Ses fournisseurs sont en fait des fournisseuses. Ce sont en majorité des femmes et des enfants appartenant aux couches sociales fortunées de Kinshasa pour qui cette vente de vêtements usagés n’est qu’un renouvellement habituel de garde-robes », indique Marie-Louise Okele. Cette pratique démontre l’habitude des Congolais Á investir leurs richesses dans des biens matériels plutôt que de conserver leur argent en espèces. Ce qui leur permet de contourner la dépréciation continue de la monnaie locale qui est le franc congolais.
«Nos clients viennent par contre de toutes les couches sociales », indique notre interlocutrice. Ainsi, les femmes plus pauvres achètent les vêtements les plus vieux et démodés tandis que les femmes de la classe moyenne s’intéressent aux tissus assez neufs et aux vêtements plus en vogue ».
L’activité «Bwaka Nzoto » est rentable dans le sens où elle permet Á Marie-Louise Okele Á satisfaire ses besoins essentiels. En effet, outre le fait de pouvoir s’acquitter des ses besoins alimentaires, vestimentaires et d’être Á même de payer son loyer, cette activité lui permet aussi de régler ses factures d’eau et d’électricité.
Josephine Mboyo, âgée de 47 ans, mariée et mère de cinq enfants, exerce aussi l’activité de «Bwaka-Nzoto » et ce, depuis plus de cinq ans. Elle affirme pour sa part, qu’elle préfère écouler ses marchandises, notamment des pagnes usagés en faisant du porte-Á -porte. Cela lui évite d’être verbalisée par les gendarmes au cas où les pagnes qu’elle a achetés auraient été volés ou encore en raison du non-paiement d’une patente et des taxes relatives Á tout commerce.
«Les gendarmes sont terribles. Ils nous traquent. J’évite les militaires en cas de recel car comme nous ignorons la provenance de nos marchandises, il peut arriver que ce soit des marchandises volées que nos fournisseurs nous ont refilées. Et en l’état des choses, nous sommes incapables de procéder Á la vérification », explique-t-elle. L’autre raison pour laquelle elle privilégie le porte-Á -porte, «c’est pour éviter de dépenser l’argent gagné qui m’aide Á épauler mon mari pour la survie de notre foyer ».
D’autres raisons seraient Á la base de la pratique de cette activité en porte-Á -porte. Il y a le manque de crédibilité des agents de l’Etat chargé de contrôler les marchés, l’incapacité de l’Etat Á gérer ou Á contrôler correctement le secteur du commerce et les tracasseries des militaires qui s’approprient les biens de ces petits commerçants. En effet, en cas d’achat des pagnes volés, les gendarmes saisissent une partie des marchandises de ces femmes et leur extorquent l’argent qu’elles ont gagné.
A cela s’ajoute le paiement des taxes communément appelées Ticket dont certaines sont justifiées et d’autres non. Il y a la taxe de table, la taxe des affaires économiques, la taxe du service d’hygiène et la taxe du service des finances, indique-t-on.
La Congolaise telle une anguille, arrive Á se faufiler Á travers les mailles de ces filets pour pouvoir sustenter sa famille.
Elsa Indombe est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
📝Read the emotional article by @nokwe_mnomiya, with a personal plea: 🇿🇦Breaking the cycle of violence!https://t.co/6kPcu2Whwm pic.twitter.com/d60tsBqJwx
— Gender Links (@GenderLinks) December 17, 2024
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