Le trafic de drogue et sa consommation se féminisent


Date: January 23, 2010
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Si la magistrate Padmini Mauree, siégeant en Cour de Grand Port, a refusé la liberté provisoire Á  Stellarice Louise Hariniana, c’est que cette Malgache est soupçonnée d’être un maillon important dans le trafic de drogue entre Madagascar et Maurice.

Etablie Á  Maurice, Stellarice Louise Hariniana est mère de deux enfants en bas âge, soit huit mois et deux ans respectivement. Le bébé vit avec elle Á  la prison tandis que le second vit avec sa grand-mère. Lors de l’audience en Cour, Hariniana a expliqué que cette dernière, qui a plus de 60 ans, tombe souvent malade et doit être hospitalisée. De plus, a-t-elle ajouté, son mari l’a abandonnée. Son avocat a avancé qu’elle a toujours respecté les conditions qui lui ont été imposées par la Cour.

De plus, elle n’a pas été identifiée par les deux passeuses. Seul objet incriminant Á  son encontre, un portable qui n’est pourtant pas Á  son nom et dont elle affirme l’avoir prêté Á  une personne qui aurait fait des appels aux passeuses.

Stellarice Louise Hariniana a été interpellée en aoÁ»t 2009 après l’arrestation de deux passeuses malgaches, qui ont restitué 160 boulettes d’héroÁ¯ne d’une valeur marchande de Rs 10 millions, soit deux millions et demi de rands. Cette drogue, ont-elles, dit, était destinée Á  Hariniani.

Or, cette dernière était déjÁ  en liberté sous caution pour une affaire d’importation de cannabis. La magistrate Mauree a craint les récidives, malgré l’imposition de conditions, et c’est ce qui explique qu’elle ait objecté Á  la remise en liberté de la Malgache.

En aoÁ»t dernier, une quinquagénaire malgache et sa fille de 35 ans, ont été interpellées Á  leur descente d’avion avec 800 grammes d’héroÁ¯ne dissimulés dans leurs parties intimes. Au moment de leur arrestation, elles étaient accompagnées d’un garçonnet de sept ans, fils de la plus jeune femme. Ce dernier a été rapatrié grâce Á  l’intervention de l’ambassade malgache Á  Maurice. Dans la Grande Ile, Marcel Velotsara, le chef de la police judiciaire, estime que le cerveau serait un Mauricien établi Á  Tananarive, qui leurre ces pauvres femmes en les encourageant Á  intégrer son réseau.

Au cours du même mois, les limiers de la brigade anti-drogue ont interpellé une dame venue réceptionner une robe de mariée en provenance de La Réunion qui contenait Rs 8 millions d’héroÁ¯ne, soit deux millions de rands. Elle aurait suivi les instructions de son mari qui est déjÁ  incarcéré Á  la prison de Beau-Bassin. Cette énième arrestation est la preuve que les caÁ¯ds utilisent de plus en plus de femmes comme relais dans le trafic de drogue.

Et c’est pareil pour Marie-Anne Roseanne et Bibi Safina Jaffur. Elles ont été arrêtées en novembre dernier au Champ de Mars avec 250 grammes d’héroÁ¯ne. La valeur marchande de la drogue est estimée Á  deux millions et demi de roupies, soit 625 000 rands. La première dit avoir agi suite Á  un appel de son mari actuellement en détention.

La prison, c’est justement ce qui attend Cindy Legallant si elle perd son appel en Cour Suprême. L’an dernier, la justice mauricienne l’a condamnée Á  trois ans et quatre mois d’emprisonnement. Cindy Legallant est arrivée Á  Maurice le 23 juillet 2008 et a été arrêtée par des membres de la brigade anti-drogue. Elle avait en sa possession 21 755 comprimés de Subutex, médicament de sevrage utilisé comme drogue par les usagers de drogue par voie intraveineuse et dont la valeur marchande tourne autour de Rs 22 millions, soit cinq millions et demi de rands.

Dans sa déposition Á  l’époque, elle avait impliqué Sada Curpen, un Mauricien établi en France, comme étant le cerveau de ce trafic. Ce dernier est mêlé Á  d’autres affaires de Subutex. Diététicienne, Cindy Legallant avait ouvert un centre de diététique Á  Maurice. Cependant, elle devait se retrouver dans une situation financière précaire. C’est alors qu’elle aurait été approchée pour transporter du Subutex et cela, avec la suite que l’on connaît.

En janvier 2010, la brigade anti-drogue de Plaine-Verte a frappé un grand coup. Des limiers de cette unité ont arrêté Yasmine Gureebun, qui avait en sa possession plus de 200 sachets contenant du gandia et une quarantaine de rouleaux de cette drogue, le tout estimé Á  Rs 400 000. La suspecte s’apprêtait Á  effectuer la livraison quand elle a été ‘cueillie’ par la police. Elle est détenue Á  des fins d’enquête.

Ce phénomène de féminisation du trafic de drogue et de sa consommation par voie intraveineuse inquiète les diverses organisations non-gouvernementales qui luttent contre la propagation de la drogue et ses conséquences sur la population. En 2004, la Rapid Situation Assessment de la National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abuse estimait Á  plus de 6000 le nombre d’usagères de drogues injectables. Au fil des années, ce nombre aurait augmenté et elles ont même rajeuni. Certaines seraient des adolescentes Á  peine sorties de l’enfance.

Les raisons expliquant ce phénomène sont multiples. Parfois, ces femmes et ces jeunes filles se laissent entraîner dans la drogue sous la pression d’amis. Souvent ce sont sous les encouragements de leurs conjoints ou partenaires, eux-mêmes déjÁ  usagers de drogue par voie intraveineuse. Une fois dépendantes, plusieurs d’entre elles sont poussées vers le travail sexuel ou dans d’autres rouages inhumains. C’est d’ailleurs Á  travers l’injection de drogue par voie intraveineuse que plusieurs femmes ont été contaminées par le VIH/SIDA.

«Valeur du jour, l’unique centre pour les usagères de drogue par voie intraveineuse, Chrysalide, n’est capable de traiter annuellement que 30 femmes alors que l’on sait que le pays compte plusieurs centaines de femmes directement affectées par la drogue », soutient Nicolas Ritter, le fondateur et directeur de l’organisation non-gouvernementale Prévention (ONG), Information et Lutte contre le Sida. Mais, selon Marlène Ladine, directrice de Chrysalide, «il ne faut pas occulter le fait que nombre de victimes de dépendances, hommes comme femmes, sont physiquement et psychologiquement faibles ».

Citant le rapport de la United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), le travailleur social Ally Lazer qui mène un combat acharné contre les barons de la drogue, rappelle que “Maurice est le deuxième pays au monde et le premier pays en Afrique en consommation d’héroÁ¯ne, substance que nous ne produisons même pas! »

En octobre dernier, le Collectif Urgence Toxida, autre ONG, a affirmé que «le trafic de drogue est l’unique secteur économique croissant de ces 40 dernières années! »

Sortir de l’enfer de la toxicomanie, c’est pourtant possible. Rebecca Bégué, 23 ans, ex-toxicomane, a présenté en juin dernier son album intitulé «L’amour interdit ». Elle qui a été traitée Á  la méthadone est «la preuve vivante et l’espoir que l’on peut sortir de l’enfer de la drogue”, souligne Imran Dhannoo, directeur du centre Idrice Goomany, ONG s’occupant de la réhabilitation des usagers de drogue par voie intraveineuse.

«Rebecca émet un cri du cÅ“ur. Cette souffrance qu’elle et ses parents, ses proches et ses enfants ont connue, elle n’est pas différente et elle est vécue de la même manière par toutes les victimes de la drogue, peu importe leur couleur de peau ou leur appartenance ethnique », explique Ally Lazer.

Certaines initiatives ont été prises pour que les femmes happées par le trafic ou la consommation de drogue puissent s’en sortir. Cinquante femmes ex-toxicomanes ont en effet bénéficié d’aides financières afin de pouvoir se mettre Á  leur compte et être financièrement autonomes. Pendant quatre mois, ces femmes ont suivi une formation en coiffure et en cuisine et Á  l’issue de ces cours, un certificat leur a été remis, ainsi que du matériel scolaire pour leurs enfants. Sur ces 50 bénéficiaires, cinq ont obtenu un capital de Rs 200 000 et 45 ont perçu chacune Rs 40 000 qui leur permettront de monter leurs propres petites entreprises.

Il est Á  souligner que le pamphlet de sensibilisation intitulé “Fam dibout lor to lipie” (femme, relève toi et soit indépendante) a été lancé récemment. Ce document qui relate les avantages du traitement Á  la méthadone, est désormais disponible dans les différents centres de réhabilitation, dans les bureaux et dans les ministères, histoire de montrer aux femmes dépendantes de ces substances, qu’une porte de sortie existe bel et bien.

Jimmy Jean-Louis est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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