Les artisans malgaches sont incapables de se professionnaliser


Date: March 23, 2010
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Cette mère de famille fait partie d’un groupe d’artisanes du village. Cela fait plus de dix ans qu’elle exerce cette activité pour nourrir ses six enfants, dont le plus âgé a 15 ans et le plus jeune tout juste un mois.

«Comme les activités de subsistance sont rares ici, depuis plusieurs années, mon mari est parti Á  Mandoto dans la région Vakinankaratra près d’Antananarivo, la capitale malgache, pour y labourer les terres et faire pousser diverses cultures. Une fois par an, il rentre au village pour me porter des produits agricoles », raconte Yvonne Razafindravola, sans quitter des yeux la paille qu’elle tresse avec une rapidité époustouflante.

Le tressage est toute sa vie. «C’est la seule activité pérenne qui peut me procurer des rentrées d’argent hebdomadaires », explique-t-elle en affirmant qu’elle peut gagner entre 3000 Á  9000 Ariary, soit entre un dollar et demi et trois dollars américains en revenant du marché. Une somme qui lui permet de s’approvisionner en produits de première nécessité.

Quand elle ne tresse pas la paille, ce qui est rare, elle s’occupe du poulailler que son mari lui a laissé Á  son départ. «C’est dur de se retrouver seule Á  la tête d’un foyer. Mais nous avons dÁ» faire ce sacrifice pour assurer la scolarisation de nos enfants », avoue-t-elle. Ces derniers l’aident Á  leurs heures perdues. Ses filles envisagent aussi de devenir artisanes comme elle afin de pouvoir obtenir plus d’opportunités.

Jeanne, qui est une autre artisane, raconte que ses revenus sont très limités car elle n’a pas trouvé de débouchés pour ses nattes. «Je n’ai jamais pu gagner beaucoup de mes nattes, faute de clients qui achèteraient en gros. La plupart du temps, ce sont des démarcheurs qui achètent nos produits Á  des prix très bas. Je n’ai pas le choix », affirme-t-elle.

A cause de l’éloignement de la commune rurale d’Imito, Jeanne et ses consÅ“urs artisanes dénombrées Á  une vingtaine dans le village, n’ont jamais pu se rendre dans un marché plus grand dans la ville d’Ambositra, ville touristique connue comme la capitale de l’artisanat Á  Madagascar et située Á  290 kilomètres au sud d’Antananarivo. Et pourtant, elles savent comment leurs nattes peuvent attirer une clientèle tant locale qu’étrangère.

«Les artisanes d’Imito sont les seules qui peuvent tresser des nattes en paille avec un style très particulier. Leurs produits se vendent très chers en dehors de la localité et les clients se les arrachent », souligne Marie Véronique, propriétaire d’un atelier d’artisanat Á  Ambositra. Elle connaît les produits des femmes d’Imito par l’intermédiaire d’un démarcheur qui lui a montré des modèles. Elle a été tout de suite conquise, de même que ses clientes. Une natte se vend au minimum Á  9000 Ariary, soit trois fois plus ce qu’Yvonne Razafindravola ne gagne sur le marché de Sandrandahy.

Le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement a beau insister sur le fait que les Etats membres doivent faciliter l’accès des femmes au commerce mais cette disposition n’a pas encore été appliquée pour les femmes vivant au fond de la brousse.

Yvonne Razafindravola et ses consoeurs continuent Á  lutter en espérant que leur vie s’améliorera un jour. Et que, comme tous les artisans, elles trouvent enfin un marché porteur. «J’espère pouvoir bénéficier d’un financement un jour pour me professionnaliser dans ce que je fais. Je suis douée mais les obstacles sont nombreux et m’empêchent d’aller de l’avant », regrette Yvonne Razafindravola, qui a presque terminé sa natte durant la demi-heure d’interview. Avec ce rythme, elle parvient Á  réaliser trois nattes par semaine.

«Pour le moment, le pays n’a pas suffisamment de potentialités pour se positionner sur les marchés régionaux. La crise sociopolitique qui perdure est un lourd fardeau pour les artisans et ne les permet pas de rêver Á  un meilleur avenir », explique Joëlle Randrianasolo, responsable administrative et financière au sein du Centre National de l’Artisanat Malgache (CENAM), situé dans le quartier dit 67 Hectares dans la capitale d’Antananarivo. Elle explique que le financement pour le marketing est octroyé seulement au nom d’une association. La seule issue pour Yvonne e Razafindravola et ses consoeurs serait donc de se regrouper en association.

Yvonne Razafindravola sait pourtant qu’elle n’aura jamais la chance de gagner plus tant qu’elle sera seule. «L’idée de créer une association nous a été déjÁ  venue. Mais comme les femmes manquent de motivation du fait qu’elles ne savent pas Á  quoi cela aboutira, elles ont préféré abandonner l’idée », regrette-t-elle.

Et pourtant, les artisans basés Á  Antananarivo ont pu réussir grâce Á  l’association et le syndicat qu’ils ont fondés. Ces plateformes leur servent d’interface avec le ministère, les démarcheurs et autres maillons de la chaîne. «Nous avons beaucoup lutté pour avoir plus de place », affirme Georgette Rasolomanana , vendeuse d’artisanat Á  la place Analamana Park, située Á  20 kilomètres de l’entrée sud d’Antananarivo, endroit très prisé des Tananariviens et des touristes étrangers en raison de son artisanat diversifié.

A Madagascar, le business de l’artisanat a connu un déclin depuis le début de la crise sociopolitique. Beaucoup d’artisans professionnels ont dÁ» opter pour un autre métier, faute de clients pour acheter leurs produits. Loin dans la brousse, Yvonne Razafindravola s’accroche et continue Á  espérer que demain sera un autre jour…

Fanja Saholiarisoa est journaliste en freelance Á  Madagascar. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


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