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Les casseuses de pierre résignées sur leur sort
Par Blandine Lusimana
La casse et la vente de pierres constituent un commerce en vogue Á Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo. En grande partie exploité par des hommes, quelques femmes s’y sont hasardées, Á l’instar de la quadragénaire Eugénie Lukendo, mariée et mère de 11 enfants. Elle s’y dévoue corps et âme depuis 20 ans. Au fil du temps, ce secteur qui était traditionnellement exploité par une majorité d’hommes, attire de plus en plus de femmes. Pour certaines, c’est un métier Á part entière. Pour d’autres, c’est une obligation.
L’infatigable Eugénie est en quelque sorte une pionnière dans le domaine. Assise devant un bloc de caillasse qu’elle est en train de casser, elle a revêtu sa «tenue de combat », comme elle le dit elle-même, Á savoir un pantalon court, un débardeur, un pagne noué autour des hanches et un foulard sur la tête. Elle s’active sans faire grand cas de la poussière soulevée qui lui colle Á la peau. C’est avec le sourire qu’elle répond Á nos questions et s’interrompt de temps Á autre lorsqu’elle est sollicitée par un client potentiel.
Elle est mariée Á un homme qui a du jour au lendemain perdu son emploi. Pour que sa famille ne meure pas de faim, elle a pris son courage Á deux mains et a fait un choix: la casse de pierres et leur vente.
«Ce commerce me rapporte beaucoup d’argent et me permet de faire vivre les miens. C’est Á grâce Á lui que j’ai pu acheter deux parcelles de terre, » explique-t-elle.
Eugénie est une lève-tôt. Elle commence sa journée Á 5h et la termine Á 17h. «Le matin », raconte-t-elle, «je me rends Á la carrière pour acheter les moellons. Après je viens ici les casser pour les revendre. Je me fais aider par mes enfants, du moins quand ils sont libres car ils étudient tous. Parfois j’emploie carrément quelques enfants que je rétribue Á la fin de la journée ».
Même si son emploi du temps est chargé, Eugénie sait organiser son ménage. «Le matin, je repartis les tâches ménagères entre mes enfants. A midi, l’une de mes filles vient chercher de l’argent pour faire la cuisine. Ce n’est que le dimanche, après l’église, que je peux souffler un peu. A ce moment-lÁ , je m’occupe de mon mari et de mes enfants. »
En sus d’être une bonne casseuse de pierres, Eugénie a le don de savoir vendre. Mais elle préfère parler de chance. «Si la chance me sourit, je peux vendre au quotidien dix chariots de caillasse Á raison de 5000 francs congolais par chariot, soit 5 dollars US ».
Malgré la crise économique qui frappe la RDC et la dureté de cette activité somme toute très physique, cette femme doublement mère de jumeaux ne se plaint pas. Elle doit élever 11 enfants et ce n’est pas une mince affaire. «J’encourage mes enfants Á étudier. Ils m’écoutent. Certains sont même Á l’université. »
D’autres femmes entrées dans ce commerce ne sont pas aussi Á l’aise qu’Eugénie. L’une d’elles refuse de répondre Á nos questions, en arguant qu’elle a honte de faire ce travail. «Je le fais parce que j’y suis contrainte. L’économie du pays est mal en point », lâche-t-elle sèchement.
Eugénie avoue qu’elle n’est «pas prête Á abandonner ce travail, Á moins que ma santé ne l’exige. Mais tant que je serai forte physiquement, je tiendrai bon. Certains de mes enfants veulent bien m’emboîter le pas ».
A ces femmes qui ont honte de pratiquer ce métier, Eugénie déclare qu’elles ne savent tout simplement pas ce qu’elles veulent. «A force de faire la fine bouche, elles vont mourir de faim. Elles doivent savoir qu’il n’y a pas de sot métier mais uniquement de sottes gens ».
Si Á ses débuts, elle a pu se faire arnaquer par des malhonnêtes, avec son expérience, Eugénie connaît tous les rouages de ce commerce. «Malheur Á celui qui essaierait de me rouler aujourd’hui », confie-t-elle en riant.
Parmi les difficultés majeures rencontrées par les casseuses de pierres, il y a les tracasseries policières. En effet, chaque jour, les policiers viennent rançonner ces vaillantes femmes et ils peuvent même aller jusqu’Á les chasser de leurs lieux de travail lorsqu’elles ne se montrent pas conciliantes. «Les policiers nous mènent la vie dure. Ils viennent toujours nous rançonner. Nous sommes obligées de cotiser et leur donner de l’argent. Ils nous prennent pour des machines Á sous. Si nous ne donnons rien, ils confisquent nos instruments, soit notre marteau, notre une houe et notre pelle ».
Jusqu’Á tout récemment, Eugénie et d’autres casseuses de pierres occupaient une place sur la grande Avenue mais cette artère principale est en réfection par des cantonniers chinois. Elles ont dÁ» trouver un autre endroit où vendre leurs pierres et se sont installées devant une école. Mais le propriétaire a dans l’idée de les chasser. «Nous n’avons plus d’endroit sÁ»r où exercer notre commerce ».
Mais par-delÁ ces difficultés, cette courageuse femme tient bon et s’accroche Á ce commerce qui la fait vivre, de même que les siens.
Comme l’a dit Eugénie, il y a des enfants qui pratiquent ce commerce. Papy Kini, 15 ans, encore scolarisé, vient chaque matin aider sa maman Á casser les pierres. «J’étudie l’après-midi. Le matin, j’aide maman », confie-t-il, marteau Á la main. Isaac par contre survit grâce Á cette activité. Orphelin depuis l’âge de neuf ans, il habite chez un oncle qui n’a malheureusement pas les moyens de le scolariser.
Au lieu d’aller mendier comme le font les enfants des rues, Isaac s’est trouvé cette activité qui lui permet de payer ses études. «Je viens aider les casseuses de pierres et je suis payé Á la fin de la journée. Ce que je gagne me permet de faire des économies et de m’acquitter de mes frais de scolarité ».
La casse de pierres fait donc vivre bien des familles. Toutefois, les autorités devraient prendre les mesures qui s’imposent pour protéger les casseuses de pierres contre les policiers corrompus.
Blandine Lusimana est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
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