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Le 25 décembre reste pour Gueulord, enfant de rue, une date mémorable, qu’il aurait d’ailleurs souhaité vivre tous les jours. Cet enfant de petite taille Á l’air joyeux, qui n’a pas encore 12 ans, vient de bénéficier de la charité d’une femme dont il n’a malheureusement pas retenu le nom. Cette bienfaitrice est venue recueillir quelques enfants de rue qui traînent généralement leur désÅ“uvrement sur la Place Victoire, le coin le plus fréquenté de Kinshasa, capitale de la RDC, pour leur faire partager avec elle un copieux repas de Noël.
Le souvenir de ces victuailles fait venir l’eau Á la bouche de l’enfant. «Maman », raconte-t-il avec appétit, «j’ai bien mangé. Il y avait du poulet, de la banane plantain, des feuilles de manioc, du fufu, du poisson. J’ai goÁ»té Á tout. Et puis, j’ai bu de l’eau gazeuse aromatisée. Ils ont aussi donné un t-shirt Á chaque enfant », raconte-t-il tout sourire. Il traverse la rue sans faire attention mais évite un autre enfant qui tente de lui ravir son petit sachet en plastic noir qui contient quelques présents qu’il a reçus de cette généreuse inconnue.
De leur côté, les autorités du pays ont aussi contribué Á ‘ensoleiller’ la journée des enfants de rue, communément appelés dans le langage populaire kinois des «chegués ». Les associations et autres centres d’encadrement pour enfants de rues ont damné le pion aux autres associations en invitant ces dernières Á mettre Á la disposition des autorités, qui curieusement veulent jouer au Père Noël durant cette période, des enfants pour qu’ils puissent les choyer et faire la fête avec eux.
Le gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta, a donné le ton. Il a fait la fête avec 500 orphelins et orphelines encadrés par l’organisation non gouvernementale «La Grâce de Dieu », ainsi qu’avec quelques enfants de rues du centre Père Frank. C’était au Luna Park, site d’attraction pour enfants, situé Á la périphérie de la capitale.
LÁ , les enfants ont momentanément oublié leur misère du quotidien. Ils ont mangé, bu et joué Á souhait. A l’instar du gouverneur, Pascaline Kudura, l’épouse de l’ancien porte-parole du président congolais, a mis en exergue ses talents de mère nourricière. Au collège Sainte Anne Á Kinshasa, elle a mangé et bu avec ces enfants qui ont été la vedette d’un jour.
Un député très connu, Adam Bombole, accompagné de son épouse, a lui choisi de gâter non pas les enfants de rues mais les personnes du troisième âge, abandonnées par leurs proches dans des institutions pour personnes âgées de Kinshasa.
Il faut certes féliciter ces messieurs et ces dames qui n’ont pas hésité Á mettre la main Á la poche pour nourrir les démunis, les enfants de rues et les orphelins. Mais lÁ où le bât blesse, c’est que ces actions humanitaires ne se sont pas faites dans la discrétion mais au grand jour.
En effet, toutes les chaînes de télévision de la ville de Kinshasa ont diffusé les images des personnalités de l’Etat en train de festoyer avec les enfants. C’était presque un matraquage médiatique! Quand on sait que les élections auront lieu en 2011, on ne peut s’empêcher de penser que ces gestes ne sont pas désintéressés. S’ils l’étaient, ils n’auraient pas eu lieu que les 25 et 31 décembre comme c’est le cas habituellement Á Kinshasa.
Et comme d’habitude, ces jours-lÁ , des promesses qui ne se matérialiseront probablement pas, sont faites aux enfants. Entendu dans la bouche d’une personnalité: «Vous êtes des orphelins mais il faut me considérer comme votre parent. Durant mon mandat, vous fêterez comme tous les autres enfants…. »
Ce que ces ‘bienfaiteurs occasionnels’ ne semblent pas réaliser, c’est que les enfants de rues congolais ne mangent pas que les 25 et 31 décembre. Ils ont besoin de pain, de viande et de poisson tous les jours pour se développer et grandir. Hélas, les autorités du pays ne semblent pas vouloir prêter une oreille attentive Á leurs doléances. Ces enfants ne réclament qu’une seule chose, Á savoir que leurs droits soient respectés.
«Quel est ce parent qui, lorsqu’il est bien payé, accepterait que son enfant soit nourri par une autorité et ce, Á des fins politiques? Je n’en vois aucun qui accepterait cela, » dénonce Alain Kadima, fonctionnaire de l’Etat. «Nous ne sommes pas payés depuis plusieurs mois », se plaint-il. «Il nous est donc impossible d’acheter de quoi nourrir convenablement nos enfants et les habiller ».
Signataire de plusieurs instruments juridiques internationaux et nationaux qui garantissent les droits des enfants, la RDC doit absolument les mettre en pratique pour que les enfants congolais jouissent de meilleures conditions de vie. La Convention relative aux droits de l’enfant prône les droits de l’enfant Á la survie, Á l’éducation, Á la protection et la participation tandis que la loi portant protection de l’enfant congolais, promulguée le 10 janvier 2009 par le président Joseph Kabila, loi qui n’est toujours pas appliquée, insiste sur les mesures de protections administratives, sociales, judiciaires, éducatives, sanitaires et autres dont devrait bénéficier tout enfant congolais.
Le gouvernement doit donc montrer sa bonne foi et faire appliquer la loi pour que les enfants congolais grandissent dans des conditions optimales et garantissent par conséquent l’avenir du pays. Ne dit-on pas que la jeunesse constitue l’avenir d’une nation? Si rien n’est fait dans ce sens, les enfants congolais ne mangeront que les 25 et 31 décembre. Ce qui est purement et simplement une aberration.
Blandine Lusimana est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Comment on Les enfants congolais: «Donnez-nous aujourd’hui notre pain de ce jour »