Les femmes en pantalon interdites de parole Á  l’Assemblée nationale de la RDC


Date: April 6, 2010
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Les Congolaises se disent discriminées, même au sein des plus hautes instances du pays, telle que l’Assemblée nationale. En effet, les femmes qui portent pantalon n’ont pas le droit de prendre la parole Á  l’Assemblée nationale de la République Démocratique du Congo (RDC). Ainsi en ont décidé les députés, majoritairement des hommes, qui ne veulent pas de tenues jugées trop sexy. Pour leurs collègues féminins, c’est de la discrimination pure et simple.

Dans une ambiance quasi festive, le bureau définitif de l’Assemblée nationale congolaise a été officiellement installé le 9 janvier 2007, en présence des diplomates en poste Á  Kinshasa et des membres du gouvernement de transition. C’était la dernière étape pour permettre le fonctionnement normal de l’institution législative issue des premières élections démocratiques du pays.

Avant d’en arriver lÁ , des députés congolais ont examiné Á  la fin novembre 2006 le
règlement d’ordre intérieur qui régit leur Assemblée nationale. Validé par la Cour Suprême, il édicte des restrictions assez sévères sur la tenue vestimentaire des députés.

Selon l’article 61, les députés doivent se présenter en habits décents: «La tenue de ville doit être de rigueur pendant les séances plénières ». Est considérée comme tenue de ville pour l’homme, le «costume assorti d’une cravate », pour la femme, «soit le pagne cousu Á  la congolaise, soit la jupe avec blouse ou veste ».

Il était initialement prévu dans cet article, la possibilité pour les femmes députés de porter le pantalon avec une veste mais cela ne leur donne pas droit Á  prendre la parole au perchoir. Le texte met en garde tout contrevenant: «Sera privé de parole tout membre qui ne se conformera pas Á  cette disposition ».

Les députés hommes, largement majoritaires, soit 458 contre 42 femmes, se sont frotté les mains lors du houleux débat sur la tenue vestimentaire. Leurs collègues femmes, en sont sorties révoltées. «Nous ne sommes pas Á  la période du recours Á  l’authenticité (NDLR: dans les années 70, le président Mobutu avait notamment interdit le port du costume-cravate aux hommes et du pantalon aux femmes), où on demandait aux femmes de s’habiller comme des paysannes. Même alors, nous n’avions pas porté des vêtements en raphia ou faits d’écorces d’arbres ! », s’insurge Vicky Katumwa, une député.

Soutenues par une petite poignée de députés hommes, les parlementaires femmes ont dénoncé cet article 61 qu’elles trouvent «anticonstitutionnel et discriminatoire ». Un député, Christophe Lutundula, élu premier vice-président du bureau définitif du
Parlement, a pris parti pour elles et accusé ses collègues hommes de se comporter comme des « Talibans ». Mais il a été gentiment contraint de retirer ce propos.

«Nous avons fait comprendre aux femmes que le port du pantalon n’est pas interdit mais qu’une femme en pantalon ne prend pas la parole en public Á  l’Assemblée nationale », explique le député Cyril Manzembele. «Nous ne pouvons pas tolérer la dépravation des mÅ“urs qu’apportent ces pantalons qui épousent les formes et qui sont très sexy. L’exemple doit venir d’en haut », a-t-il martelé.

Vicky Katumwa ne s’est pas laissé intimider. Elle est montée au perchoir de l’Assemblée nationale pour demander aux hommes de «gérer leurs pulsions sexuelles au lieu de se cacher derrière des histoires de pantalon. Nous ne nous présentons pas en marginales », explique-t-elle. «La RDC est un Etat moderne. Il faut donner Á  la femme l’opportunité de s’habiller décemment ».

Sans donner raison aux hommes, la député Colette Tshomba est d’avis que les pantalons moulants et autres jeans taille basse font parfois des «dégâts » chez les hommes. Mais, « il y a moyen de s’habiller en pantalon sans nécessairement choquer », dit-elle. Elle a cité l’exemple de l’ancienne secrétaire d’Etat américain, Condoleeza Rice et la chancelière allemande Angel Merckel, qui sont souvent en pantalon sans que cela choquer.

Malgré les vociférations des femmes députés, cette règlementation reste en vigueur Á  l’Assemblée nationale congolaise. Aucune femme en pantalon n’y prend la parole. «Il y a une volonté des hommes Á  tout garder pour eux et Á  ne rien partager avec les femmes », relève Collette Tshomba, qui estime que «beaucoup de travail reste Á  faire pour changer les mentalités. C’est culturel ».

Urbain Saka-Saka Sakwe est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


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