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Mon enfance en RDC: un cauchemar
Par Evelyne Luyelo
Je m’appelle Aisha (nom fictif). J’ai 18 ans. Je suis née Á Boma, une ville du Bas-Congo Á l’ouest de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo (RDC). Je suis issue du second mariage de mon père et d’une jeune fille de son quartier qui, deux ans plus tard, l’a quitté Á cause de sa première femme, explique-t-elle maintenant. Je suis restée avec mon père et son épouse.
Ma grand-mère, la mère de mon père, ne voulait pas que j’habite avec ma belle-mère car selon grand-mère, elle était incapable de prendre soin de moi. Elle pensait ainsi car ma belle-mère tardait Á avoir un enfant. Je ne m’en rappelle pas très bien mais la vie avec grand-mère me semblait belle et heureuse. Ma belle-mère a finalement pu donner naissance Á un garçon, un an après le départ de ma mère. Pendant ce temps, on n’entendait plus parler de la femme qui m’avait mise au monde jusqu’Á cette journée de 1997.
Je jouais paisiblement avec des amis dans le jardin de la maison de ma grand-mère quand trois hommes ont débarqué et m’ont empoignée. J’ai crié, pleuré mais ils étaient plus forts que moi. Ils m’ont emmenée dans une voiture où nous attendaient une femme et un chauffeur. Ils m’ont remis Á la femme qui m’a serrée fortement dans ses bras en disant que j’étais sa fille.
Je lui ai demandé de me laisser aller rejoindre ma grand-mère mais elle a dit que je serai davantage en sécurité avec elle car elle était ma vraie mère. Un jour après cette rencontre, elle m’a emmenée Á Cabinda, une province de la République d’Angola où elle vivait seule dans un deux-pièces très propre. Elle m’achetait des jouets et des habits Á profusion. Bref, une vie gâtée pour une fillette de cinq ans.
En fait, ma mère ne travaillait pas. Elle sortait tous les soirs et ne rentrait qu’aux petites heures du matin. Quand elle sortait, elle m’enfermait dans la maison et par moments, elle oubliait de fermer Á clé. Quand cela arrivait, je poussais des chaises en plastique contre la porte. Ce fut le cas lors d’une nuit de 1999. Elle était tellement pressée de sortir qu’elle a oublié de m’enfermer dans la maison. Ma petite taille ne me permettait pas d’atteindre le commutateur, ni la serrure. Donc, comme la lumière était allumée et la porte ouverte, j’avais peur et je n’arrivais pas Á trouver le sommeil.
C’est Á ce moment lÁ qu’un voisin est entré dans la maison. Il habitait l’appartement d’Á côté et me demandait de l’appeler ‘papa’ car il disait remplacer mon père. Il m’a dit qu’il savait que j’étais seule et qu’il voulait me tenir compagnie. Sa présence ne m’a pas inquiétée au début étant donné qu’il nous était familier.
Au cours de cette nuit-lÁ , je ne me doutais de rien. Il m’a demandé de poser la tête sur ses cuisses pour me bercer et m’aider Á m’endormir. Il s’est mis Á me caresser les cheveux. J’ai pensé bêtement que c’était une marque d’affection. Puis, il s’est mis Á toucher mes organes génitaux. Surprise par ce geste, je me suis redressée et lui ai demandé de partir car autrement, j’allais hurler. Il m’a dit que ce qu’il voulait me faire n’était rien en comparaison avec ce que faisait ma mère. Il m’a enfermée dans l’appartement et est parti avec la clé.
Quand ma mère est arrivée le lendemain matin, il lui a donné la clef et elle m’a ouvert. J’étais en larmes et je lui ai expliqué ce qui était arrivé. Elle m’a dit que je prenais tout cela trop au sérieux et que ce n’était pas grave. Ma mère rentrait souvent ivre Á la maison avec des amants. Par moment, elle faisait l’amour avec eux en ma présence. Une nuit, elle m’a dit qu’elle allait être avec deux «clients importants » et m’a demandé d’aller chez «mon papa » rien que pour un moment.
Je suis allé chez «mon papa » qui m’a accueillie gentiment. Il m’a emmenée dans sa chambre Á coucher et m’a dit qu’il avait payé ma mère pour m’avoir. Et lÁ , il m’a violée. J’ai saigné tellement qu’il m’a lavée en mettant je ne sais quoi sur mes parties intimes.
Le lendemain matin, notre maison est restée fermée. Durant la nuit qui suivit, il m’a encore violée. Ma mère n’est revenue que deux jours plus tard. Je lui ai raconté ce qui s’était passé et elle m’a dit d’oublier tout cela et de n’en parler Á personne.
J’ai commencé Á avoir peur et Á me méfier de tout le monde. Heureusement pour moi, quelques mois plus tard, ma tante, la grande sÅ“ur de ma mère, est venue nous rendre visite et je lui ai tout expliqué. Elle a grondé ma mère qui a tout nié en bloc. Ma tante a insisté pour m’emmener avec elle mais ma mère a refusé.
L’année qui a suivi, la vie avec ma mère est devenue de plus en plus difficile. Elle me battait pour des riens. Elle sortait souvent en mettant ma vie en danger. Un matin, la police a arrêté «mon papa » pour le viol de la fille d’un autre voisin.
Ma tante est revenue et a dit Á ma mère que je devais partir étudier au Congo. Ma tante m’a emmenée Á Moanda, une ville de la RDC. J’y ai vécue heureuse avec ses trois filles, qui sont se sont comportées en vraies sÅ“urs pour moi. Je vis maintenant Á Kinshasa avec une des filles de ma tante qui paie ma scolarité. Je ne suis pas vraiment portée pour les études. Ce sont, selon le psychologue qu’on m’a fait consulter, des séquelles de mon enfance traumatisante. Ma sÅ“ur m’aide beaucoup.
Elle m’a présentée Á un prêtre catholique qui suit mon évolution scolaire. Je suis toujours en première alors qu’Á mon âge, j’aurais dÁ» être en sixième. Je ne supporte pas la vue des hommes. Je suis frustrée et je ne sais pas pourquoi je mens. Ma mère est venue l’année dernière chez ma tante car elle a été refoulée de la ville d’Angola où elle vivait.
Elle est repartie pour Luanda, la capitale angolaise. Elle non plus, je ne la supporte pas. Je ressens un dégoÁ»t profond pour le mal qu’elle m’a fait. Pire, elle ne m’a jamais demandé pardon. Aujourd’hui, pour moi, ma vraie mère, c’est ma tante alors qu’elle est le mal personnifié.
Je ne sais pas où est mon père, ni ce que sont devenus ma grand-mère et mon frère. J’en suis très triste. Je remercie toutefois ma tante qui a réussi Á me donner une vraie famille et mes cousines qui m’ont accueillie comme leur propre sÅ“ur.
Evelyne Luyelo est journaliste en République Démocratique du Congo. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
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